Activité risquée

La collecte des déchets est depuis longtemps l’activité la plus dangereuse du camionnage.

Le 8 mai dernier, une piétonne de 28 ans a subi des blessures graves dans l’arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal, après avoir été heurtée par un camion à ordures qui effectuait un virage à droite. Le chauffeur a poursuivi sa route à la suite de l’impact.

En janvier dernier, une femme de 79 ans a été frappée mortellement par un camion à ordures qui sortait d’une ruelle à Montréal.

En mai 2018, un homme de 78 ans a lui aussi été happé à mort par un camion de recyclage à Limoilou.

En date du 22 janvier, la Solid Waste Association of North America (SWANA) recensait 17 décès de ce type aux États-Unis et au Canada. David Biderman, directeur général de l’organisme, a déclaré que le total était «sans précédent» en 20 ans de carrière dans l’industrie.

Les chiffres renforcent également une vérité incontournable sur les professionnels de la collecte des matières résiduelles et recyclables – ils font face à l’une des activités les plus dangereuses du camionnage.

Les menaces ne se limitent pas aux cyclistes et aux piétons autour des camions. Trente collecteurs sont morts au travail aux États-Unis en 2017, et les chiffres préliminaires suggèrent que 2018 pourrait être pire. Le département du Travail des États-Unis classe déjà ce travail au cinquième rang des emplois les plus meurtriers, au-dessus des taux enregistrés par la police et les pompiers.

Les provinces suivent les taux de blessures de différentes manières, mettant souvent les employés en gestion des déchets dans la même catégorie que les autres chauffeurs de camions. Mais M. Biderman croit que le segment canadien générerait un classement similaire de ce côté de la frontière.

Pourquoi est-ce si dangereux?

Plusieurs facteurs contribuent aux dangers.

«Les gens ne réalisent probablement pas que c’est un rôle extrêmement qualifié», explique Roger Davis, directeur de la gestion des risques pour Emterra Environmental, qui supervise un parc de 950 véhicules allant de la Colombie-Britannique à l’Ontario et dans le Michigan. «Ils le font dans un environnement près du trafic. Ils le font dans des zones résidentielles. Et ils doivent utiliser de l’équipement lourd… cela rend les choses un peu plus difficiles.»

Un collecteur résidentiel peut devoir monter et descendre d’un camion 800 fois par jour, ce qui l’expose aux autres véhicules, d’ajouter M. Biderman. Il y a des automobilistes qui ne respectent pas les feux de circulation ou qui dépassent les camions par la droite ou même par la voie à contresens car ils deviennent impatients avec le matériel de collecte se déplaçant lentement.

«Il y a beaucoup d’accidents impliquant des camions à ordures en raison des nombreux angles morts derrière et sur les côtés, et même devant pour certains camions», indique Julie Arbour, conseillère en prévention pour Via Prévention. «Il y a aussi le poids du véhicule, le fait que le travail s’effectue sur la voie publique parmi des citoyens pressés», l’environnement changeant – mobilier urbains, pistes cyclables, chantiers, nids de poule – et, bien sûr, la température.»

Selon une fiche d’information de Via Prévention, les manœuvres de recul sont particulièrement dangereuses.  De 2001 à 2012, chez les éboueurs, neuf accidents graves, dont six mortels, ont été causé par des manœuvres de recul des camions au Québec. Dans quatre de ces six accidents, l’aide-éboueur se trouvait sur le marchepied du camion avant de chuter et d’être écrasé.

«Si l’aide-éboueur se trouve à l’arrière du camion à ordures ménagères qui recule, c’est-à-dire hors du champ de vision du conducteur et de l’aide-éboueur-signaleur, il risque d’être écrasé mortellement en une fraction de seconde par le camion», peut-on lire dans le document Les aides-éboueurs sur la route. Des coureurs de risques, produit par Via Prévention.

Un rapport d’enquête de la CNESST indique que si le camion fait marche arrière à marche de recul au ralenti, soit 4 km/h, le délai d’impact avec un aide-éboueur se trouvant à 0,5 mètres est de 0,45 secondes. À 9 km/h, ce délai est de 0,20 seconde, et à 16 km/h, il est de 0,11 seconde.

Soixante pour cent des travailleurs de l’industrie des déchets et du recyclage qui sont décédés au Canada et aux États-Unis, en 2017, ont été tués lors des activités de collecte. La moitié des personnes tuées sur des sites d’enfouissement étaient des chauffeurs travaillant sur des camions ou à proximité de ceux-ci. Deux guetteurs – des employés censés guider les camions sur un chemin sécuritaire – ont également été tués.

Les menaces sur la route sont si courantes que 23 États ont renforcé les peines prévues pour les personnes qui frappent des travailleurs collectant les déchets, ou l’arrière de camions à ordures. L’approche ressemble beaucoup au corridor de sécurité, mais cette loi provinciale est axée sur les chauffeurs de dépanneuse et les intervenants en cas d’urgence.

Les menaces ne se limitent pas non plus aux collisions de la route. Selon le Centre of Research Expertise pour la prévention des troubles musculo-squelettiques de l’Université de Waterloo, un sac de déchets pèse en moyenne 16,5 livres. Un travailleur typique soulève neuf de ces sacs par minute.

Le corps s’use petit à petit.

Options de camions en guise de solutions

Toute stratégie visant à réduire les risques nécessitera de l’équipement. M. Davis, par exemple, insiste sur la valeur des spécifications bien documentées établies par l’American National Standards Institute (ANSI).

Certains choix d’équipement vont encore plus loin.

Les camions à chargement latéral automatique, par exemple, font appel à des bras mécaniques plutôt qu’à des personnes pour charger les déchets à bord. Mais les configurations ne sont pas toujours appropriées. Il n’y a pas beaucoup de place pour des bacs individuels dans les centres urbains densément peuplés, et les bras peuvent également endommager la cime des arbres qui s’étendent sur des rues anciennes.

Selon Curtis Dorwart, chef de produit chez Mack Trucks, les véhicules de collecte à chargement arrière restent l’option la plus populaire, en raison de la diversité des prix et de la polyvalence. Ces véhicules peuvent même être utilisés pour compacter de gros appareils électroménagers, plutôt que de se limiter aux matériaux qui entrent dans les limites d’un bac spécifique. «La polyvalence est phénoménale», dit-il.

Peu importe le style de véhicule choisi, cependant, il existe de nombreuses options pour améliorer la sécurité globale.

«Il semblerait que tout le monde possède son ingrédient secret», d’affirmer M. Dorwart. Le défi consiste à trouver un équilibre entre le prix et l’efficacité.

«Il ne faut pas mettre un prix sur la sécurité mais, en même temps, il faut être assez sage pour savoir ce qui a du sens en fonction du risque», a-t-il ajouté.

Les caméras vidéo utilisées pour éliminer les angles morts deviennent de plus en plus populaires –  à tel point que Mack offre désormais le pré-câblage nécessaire pour installer les systèmes de télématique basés sur la vidéo Lytx sur ses véhicules LR. Selon la configuration du véhicule, les objectifs de caméras peuvent être orientés dans toutes les directions, et il existe un intérêt croissant pour les systèmes qui permettent d’obtenir une vue à vol d’oiseau montrant tous les côtés du camion après un peu de calibrage.

Mais même les systèmes de caméras ont leurs limites. Personne ne veut submerger les utilisateurs d’une trop grande quantité d’informations, d’expliquer M. Dorwart. Les grands moniteurs peuvent également créer des angles morts en soi.

Les rétroviseurs d’accostage supplémentaires, quant à eux, peuvent refléter des images de menaces au niveau du pare-chocs d’un camion, le long du trottoir ou derrière les portes. (La ville de New York est allée jusqu’à exiger des miroirs convexes à vue croisée.) Même un simple circuit de relais peut être utilisé pour s’assurer que les radios sont éteintes lorsqu’un camion passe en marche arrière.

Les options résolument technologiques, comme les avertissements et le freinage automatique des systèmes avancés d’assistance au conducteur, font beaucoup parler d’elles. Cependant, M. Dorwart souligne que des outils tels que le contrôle de stabilité électronique, les systèmes d’atténuation de collision et les avertissements de sortie de voie sont généralement conçus en fonction des autoroutes, et non pour des vitesses de collecte qui oscillent autour de 30 km/h.

Imaginez le bruit constant des avertissements de sortie de voie en milieu urbain, chaque fois qu’un véhicule franchit une marque sur la chaussée.

«Cela rendrait les chauffeurs complètement fous», lance M. Dorwart.

Le débat sur les protections latérales

Compte tenu de la nature du travail, certains véhicules comportent des barrières physiques destinées à empêcher les piétons et les cyclistes de glisser sous les roues d’un camion.

Halifax, Montréal et la ville de New York, notamment, ont rendu les protections latérales obligatoires pour cette raison. L’an dernier, le conseil municipal de Halifax a décidé que les dispositifs étaient si importants qu’il a approuvé un montant de 238 000 $ pour l’installation du matériel – sur 83 camions de collecte appartenant à GFL Environmental and Regroup, avant le lancement du prochain appel d’offres.

La Ville de Montréal veut inclure dans ses appels d’offres une clause qui obligerait, entre autres, les entreprises ayant des contrats de déneigement ou de construction, à équiper leurs camions de barres de protection latérale. Cette clause devait entrer en vigueur cette année.

Les barrières ne sauveront cependant pas tous les usagers vulnérables de la route.

Selon la Base nationale de données sur les collisions de 2015, les trois quarts des collisions mortelles impliquant des camions lourds et des piétons ou des cyclistes, au Canada, concernent l’avant du véhicule.

Le Conseil des ministres responsables des transports et de la sécurité routière du Canada vient d’approuver un rapport sur les usagers de la route vulnérables qui pose la question de savoir si les protections latérales ne font pas simplement dévier les gens vers d’autres voies de circulation. L’étude souligne également que même si les autobus municipaux sont encore plus près du sol, il y a encore des rapports de piétons tués en tombant sous leurs roues.

-Avec des ajouts de Steve Bouchard