Aimer, commenter, partager

Que vous le vouliez ou pas, les médias sociaux font maintenant partie intégrante de vos affaires. Savez-vous comment les gérer?

Instagram compte plus d’un milliard d’utilisateurs actifs; Facebook, plus de deux milliards. Maintenant plus que jamais, les médias sociaux constituent un puissant outil de communication qu’il est impossible d’ignorer. Fini le partage d’images de chat et de vidéos loufoques. Faites place aux relations d’affaires, à la promotion événementielle et même au recrutement d’employés.

La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) est présente sur les médias sociaux depuis le printemps 2011, et elle est souvent citée en exemple dans la façon dont elle a géré sur Facebook les discussions entourant la campagne de partage de la route de 2015. La campagne a suscité une déferlante de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, notamment à l’égard des cyclistes.

«Nous, les gestionnaires de communauté, nous attendions à ce que la campagne prenne cette tournure sur Facebook», indique Gino Desrosiers, relationniste médias et gestionnaire de communauté à la SAAQ.

Pour certaines personnes, dès qu’on parle de partage de la route, c’est comme si on leur enlevait quelque chose pour le donner aux autres. Le partage de la route est un sujet où l’émotion l’emporte souvent sur la raison. «Lorsque nous avons une campagne sur le partage de la route, je sais que nous allons avoir de nombreux commentaires et que je devrai faire beaucoup de modération et de rappels à l’ordre», poursuit-il. «Dans ces occasions, je dois souvent rappeler que toutes les opinions sont les bienvenues, mais que nous demandons un minimum de respect et de courtoisie lorsque c’est le temps de les exprimer. Il m’arrive de souligner que le respect et la courtoisie sont des valeurs appréciées tout autant sur la route que sur Facebook.»

«Nous demandons à nos spécialistes de contenu d’être disponibles lors des premiers jours d’une campagne afin de pouvoir répondre rapidement si les gestionnaires de communauté ont besoin de se référer à eux pour répondre aux questions et commentaires de la communauté», explique M. Desrosiers. «On essaie de répondre aux questions claires et précises qui concernent nos sujets. Si un commentaire peut nous permettre d’apporter de l’information additionnelle, on risque de répondre à ce commentaire. Si un commentaire véhicule une fausse information qu’on peut démentir avec des faits, on risque de répondre.»

En ce qui concerne les commentaires plus corsés ou moins respectueux, le gestionnaire de communauté se demande toujours s’il y a des gains à faire pour le bon déroulement de la conversation et pour éviter les dérapages. Il ajoute que les interventions sont généralement appréciées par la communauté, car les gens sentent qu’ils peuvent s’exprimer sans que quelqu’un leur tombe dessus pour se défouler. De mémoire, il n’a banni aucun utilisateur lors de la campagne sur le partage de la route avec les véhicules lourds. Toutefois, certains commentaires (généralement très peu) ont été supprimés.

«Lorsque nous supprimons des commentaires, nous nous référons à notre nétiquette», précise M. Desrosiers. «Je tiens toutefois à mentionner que ce n’est pas une pratique courante. Si vous consultez les commentaires sur notre page Facebook, vous verrez que nous laissons une bonne marge de manœuvre aux interlocuteurs qui désirent s’exprimer. Notre but n’est pas de les brimer, mais plutôt de favoriser les échanges.»

Certains facteurs, comme la présence, contribuent au succès de Gino Desrosiers et de ses collègues. «La gestion de communauté est ma première fonction», explique-t-il. «Si la situation le nécessite, je peux le faire à temps plein. Ça me permet de donner des suivis rapides, de répondre dans de brefs délais et d’éviter le plus possible les dérapages.»

L’approche fait aussi partie d’une recette gagnante. Sur les médias sociaux, il faut être bienveillant sans être moralisateur. Il faut être vif d’esprit, informatif, transparent, drôle et pince-sans-rire, sans être irrespectueux ou trop audacieux. «De plus, nous personnalisons nos échanges, ce qui les rend moins froids et moins beiges», de dire M. Desrosiers. «Le dernier élément que je tiens à mentionner, c’est le niveau d’autonomie laissé aux gestionnaires de communauté. Lorsque je réponds aux gens sur Facebook, je n’ai pas besoin de faire valider les réponses que je donne. Cette marge de manœuvre permet de réagir rapidement, ce qui vient faciliter notre présence.»

«À priori, toute entreprise qui a une présence en ligne sur des plateformes sociales, y compris une fiche sur Google Maps, devrait attribuer des responsabilités de veille, d’écoute, d’animation et de reporting à une personne dans l’entreprise préalablement formée, ou en services gérés à l’externe», d’expliquer Catherine Gratton-Gagné, chef d’équipe marketing de contenu chez Adviso, un cabinet de conseil en stratégie web et marketing. «Chose certaine, il s’agit d’un point de contact primordial pour la gestion de l’image de marque en ligne.»

Lorsque les choses dérapent, il est conseillé au gestionnaire de communauté d’éviter tout sujet sensible s’il n’est pas en mesure de défendre ses positions, ou de participer activement et publiquement aux débats qui pourraient en découler. Les médias sociaux sont des plateformes d’échanges riches pour les marques, mais prendre position sur des sujets délicats peut être un exercice périlleux.

«Certaines marques attendent parfois trop longtemps avant de répondre à une problématique et peuvent ainsi laisser un trou d’information qui sera comblé autrement, sans que la marque puisse contrôler le message. Comme dans la pratique des relations publiques, on fait face à une crise en dressant rapidement un portrait de la situation, en identifiant les pistes de solutions et les messages importants à communiquer, puis en offrant sa version des faits dès que possible.»

Troll ou hater?

 «Un troll est, par définition, un utilisateur qui a comme objectif de perturber les échanges sur des plateformes sociales en suscitant des réactions négatives à partir de commentaires non-sollicités, déplacés, qui sèment la discorde et la controverse, voire le chaos», d’expliquer Catherine Gratton-Gagné. Il n’apporte rien de constructif dans les échanges auxquels il participe, et vise strictement à faire réagir les participants. «En général, nous recommandons à nos clients de ne pas alimenter les trolls. Le hater est, en comparaison, un utilisateur qui a besoin de s’exprimer négativement sur un sujet.» Elle ajoute que le hater mérite l’attention des marques car ses demandes ou attentes, bien qu’elles puissent être irréalistes, reflètent un besoin non comblé tangible.

Les politiques de communauté, ou nétiquette, aident généralement à tracer la ligne à cet effet. Il est recommandé de suivre ce qu’on appelle un processus d’escalade. Par exemple, si un utilisateur contrevient à une règle du code de conduite existant, le gestionnaire de communauté est en droit de masquer son commentaire, préférablement en envoyant un message à l’utilisateur pour le prévenir. «Il faut toutefois faire preuve d’authenticité et de transparence, et ne pas masquer ou bannir si un utilisateur pose une question fondée sur des pratiques réelles ou des enjeux de l’entreprise», de conclure Catherine Gratton-Gagné.

Les médias sociaux chez Guilbault

Groupe Guilbault assure une présence sur les réseaux sociaux depuis 2013. Mais lorsque Pascale Lizotte, gestion des communications, a pris la relève il y a presque quatre ans, les choses sont passées au niveau supérieur.

«On est sur Facebook, LinkedIn et Instagram, mais on vient juste de commencer avec Instagram», explique-t-elle. «C’est quand même exigeant alors on veut prendre le temps de bien s’en occuper.» Elle ajoute que la gestion des réseaux sociaux constitue un véritable défi pour les compagnies. Il faut y accorder du temps, et donc, de l’argent.

Sur la page Facebook de Groupe Guilbault, on retrouve essentiellement des nouvelles sur le transporteur et des offres d’emploi. L’entreprise se sert également de la plateforme pour mettre en valeur la qualité des employés et souligner différents événements, comme des festivités. «Ce n’est pas le même genre de contenu sur LinkedIn», précise-t-elle. «C’est un peu moins léger et la page doit être vraiment poussée par les gens qui travaillent dans l’entreprise. Sur Instagram, il faut être prêt à avoir des belles photos. Il y a moins de place pour le message mais le visuel est très important.»  Selon Pascale Lizotte, le compte Instagram de Groupe Guilbault va devenir un outil de choix pour communiquer avec la nouvelle génération.

Facebook constitue un outil extraordinaire pour développer et entretenir le sentiment d’appartenance des employés. «C’est aussi un bel outil d’échange direct avec nos employés, qui peuvent nous envoyer des messages privés», explique-t-elle. «Et ça nous permet de faire la promotion de l’image de marque de l’entreprise et de la marque employeur, c’est-à-dire de se faire valoir comme employeur de qualité.»

Le transporteur a adopté une politique de tolérance zéro face aux impolitesses et au racisme. Il faut donc répondre très rapidement dans ces cas-là. Mme Lizotte confirme qu’il s’agit de situations exceptionnelles, mais que toutes les entreprises de transport ne peuvent pas en dire autant. «En plus de répondre publiquement, on contacte les personnes concernées en privé, et on signe de son vrai nom», de dire Mme Lizotte. «Les échanges d’un humain à un humain, ça rétablit souvent le respect. C’est important d’assurer un bon suivi. Parfois, on invite les gens à quitter la page. On peut aussi faire intervenir une autre personne de l’entreprise, un préposé à la sécurité par exemple, si son département est visé par le commentaire en question.»

Ainsi, les valeurs mises de l’avant par Groupe Guilbault sont respectées sur les réseaux sociaux. Il a notamment été décidé que le vouvoiement serait de mise lors des échanges en ligne. «C’est un choix qu’on a fait et une fois la ligne éditoriale choisie, il faut la respecter», de poursuivre Pascale Lizotte, ajoutant que les messages texte ont habitué les gens à recevoir une réponse rapidement. «Mieux vaut ne pas avoir de page que d’avoir une page dont on ne s’occupe pas.»

Elle conseille aux entreprises de consacrer au moins une heure par jour aux réseaux sociaux, précisant qu’il s’agit d’un strict minimum. Elle rappelle aussi aux gestionnaires de communauté de toujours faire preuve d’une grande politesse, d’argumenter avec intelligence et sans impulsivité, et de savoir s’excuser lorsque nécessaire. «Au final, c’est une très belle aventure pour le Groupe Guilbault», de conclure Mme Lizotte. «Un autre point positif, c’est que les tempêtes ne durent jamais longtemps sur les réseaux sociaux. Ça passe très vite.»