L’heure du changement

Le nœud papillon est leur marque de commerce. Le petit détail qui fait leur image et les démarque de la masse dans l’industrie. Serge Hubert, président de C.H. Express et son frère Marc-André, directeur des opérations, aiment ressortir du lot, faire preuve d’audace. Récemment, ils ont pris une décision sans précédent : payer leurs camionneurs à l’heure plutôt qu’au mille. Une décision audacieuse, certes, mais essentielle et logique aux yeux des deux hommes d’affaires.

C.H. Express, de Saint-Jean-sur-Richelieu, se spécialise dans le transport sur remorque plateau en Amérique du Nord et offre des services d’intermédiaire et de logistique en transport.

L’idée d’offrir une rémunération horaire à ses chauffeurs découle directement des préoccupations de l’entreprise face à la nouvelle réglementation américaine sur les enregistreurs électroniques de bord (EEB). Les dirigeants sentaient une certaine inquiétude de la part de leurs chauffeurs.

Les discussions entre confrères, partout dans l’industrie, ont créé cette perception que les chauffeurs seraient perdants au change avec l’arrivée des EEB. Que ces derniers mettraient une pression à la baisse sur leur rémunération.

«Le but, c’était de faire en sorte que les chauffeurs ne payent pas le prix de la nouvelle réglementation. Ils étaient habitués d’avoir une certaine paye avec les fiches en papier et nous voulions les rassurer que ce montant serait le même, voire plus, avec le ‘log’ électronique», d’expliquer Marc-André Hubert.

Prendre la pression

Serge Hubert estime que c’était la responsabilité de son entreprise de rassurer les chauffeurs. «Nous avons pris la décision que, cette pression que ressentaient les chauffeurs, c’est nous qui allions la prendre», explique le président de C.H. Express. «Cette décision, c’est en quelque sorte notre déclaration que nous n’avons pas peur de la nouvelle réglementation.»

«Nous n’avons pas peur des nouvelles règles du jeu, car nous nous les imposions déjà», poursuit Marc-André. «Mais nous comprenons que nos chauffeurs puissent avoir certaines appréhensions.»

Au moment de notre entrevue, soit tout juste avant Noël, C.H. Express en était à sa deuxième période de paye à l’heure.

Comme on aurait pu s’y attendre, la réaction a été positive dans l’ensemble, à une ou deux exceptions près qui cherchaient où se trouvait l’arnaque, «mais il n’y en a pas», assure Marc-André Hubert.

Simple calcul

La rémunération horaire est basée sur l’enregistreur électronique de bord des chauffeurs; il importe donc que les heures soient bien entrées dans l’appareil. L’EEB devient ni plus ni moins que le ‘punch’ des chauffeurs; c’est lui qui calcule les heures de travail et de conduite à la seconde près, et non pas PC Miler, précise Marc-André Hubert.

La grande question : comment C.H. Express a-t-elle déterminé le salaire horaire qu’elle verserait à ses chauffeurs?

«Le calcul a été simple», répond Marc-André. «Nos chauffeurs étaient payés 0,42 $/mille. En se basant sur une vitesse de 100 km/h et une distance parcourue de 1 100 km par jour, cela fait 25 $ de l’heure pour un chauffeur senior (plus de deux ans d’expérience). Un conducteur junior (moins de deux ans d’expérience) gagne 21 $ de l’heure. Le plafond salarial horaire est fixé à 28 $ de l’heure pour les chauffeurs qui comptent cinq ans et plus d’ancienneté dans l’entreprise.»

Ces montants s’appliquent à la portion conduite de l’EEB. La portion «travail» (on duty) est payée 18 $ de l’heure pour tout le monde.

Mais à tout cela s’ajoutent différents bonis. Chaque cueillette ou livraison est payée 25 $, en plus du tarif horaire. Pour une cueillette d’une heure, par exemple, le camionneur est payé l’équivalent de 43 $ de l’heure, illustre Serge Hubert.

«Quand on fait du LTL, on veut que le chauffeur soit incité à mettre le plus de charges partielles possible sur sa remorque. Nous avons établi notre système de manière à ce qu’il soit très avantageux pour le chauffeur de faire ces arrêts. Ce sont des bonis à l’efficacité».

Pour les charges hors normes, ajoutez à tout cela 75 $ par jour de calendrier. En outre, chaque fois qu’un chauffeur doit s’arrêter pour une inspection, en repart avec les documents conformes, il reçoit 50 $. «Nous aimons que notre cote de transporteur soit bonne, et cette initiative nous aide en ce sens. Les chauffeurs, eux, reçoivent un boni sur présentation de la documentation d’inspection, laquelle est incluse dans nos dossiers. Nous savons ainsi qui est passé à l’inspection, et combien de temps y a été passé», indique Serge Hubert.

Les chauffeurs peuvent légalement travailler 70 heures par semaine, lesquelles sont typiquement divisées en 55 heures de conduite et 15 heures en service. C.H. Express paye à temps et demi après 60 heures.

D’un point de vue strictement comptable, Serge et Marc-André Hubert s’attendent à une augmentation de 10 à 20 pour cent de leurs frais salariaux. Mais d’autres coûts seront réduits, des coûts qui se trouvent du côté du recrutement, de la sécurité et du service.

«En optant pour une rémunération à l’heure, nous avons aussi fait le pari de ne plus avoir à nous soucier du recrutement et de la rétention. Nous sommes prêts à payer le prix que cela vaut pour avoir de bons conducteurs professionnels, courtois et sécuritaires, et je suis à l’aise de vendre le service professionnel au prix que cela vaut. Mais je ne suis pas à l’aise de payer un chauffeur qui veut rouler de façon non sécuritaire et non légale», indique le président de C.H. Express.

Au-delà des chiffres

Mais au-delà des chiffres et des stratégies financières, Serge et Marc-André Hubert affirment avoir abordé la question de la rémunération sous l’aspect humain d’abord et avant tout.

«Depuis longtemps, la pression a beaucoup été absorbée par les chauffeurs. L’ensemble de l’industrie dit : le trafic, c’est votre problème. Les temps d’attente, c’est votre problème. Maintenant, ici, ce ne sont plus les problèmes des chauffeurs. Qu’un camionneur roule à 10 km/h à cause de la congestion, à 70 km/h à cause de la météo ou à 100 km/h, c’est la même chose : le compteur tourne et il est payé. Cela enlève de la frustration et fait en sorte que le chauffeur peut offrir un meilleur service et être plus sécuritaire», explique Serge Hubert.

La décision de C.H. Express d’offrir une rémunération horaire a entraîné des avantages collatéraux intéressants : le mot s’est passé comme une traînée de poudre et a permis à l’entreprise de se démarquer, comme elle aime le faire.

«Ce n’est plus très difficile pour nous de recruter présentement. Ça a été la folie furieuse quand nous avons annoncé notre rémunération à l’heure. Les chauffeurs postulaient de partout, même des États-Unis», indique-t-il.

«Le recrutement n’est plus un sujet prioritaire dans l’entreprise présentement. Et cela nous permet de nous concentrer sur notre force, qui est de vendre des services de transport.»

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.