Mieux vaut prévenir

Les démonte-pneus et les crics ne valent pas une vie humaine. Pourtant, un technicien d’entretien des pneus est décédé à Whitehorse, au Yukon, alors qu’il récupérait des outils sous un camion sur lequel il travaillait. L’incident a eu lieu en 2011, mais il m’est toujours resté en tête parce que la mort était inutile et qu’elle aurait pu être facilement évitée – et aussi parce que je ne peux pas compter combien de fois je suis sorti d’un atelier au volant d’un camion sans d’abord m’assurer que personne ne se trouvait en-dessous.

C’était un cas classique de «toutes les personnes impliquées ont supposé à tort que quelqu’un d’autre avait fait ce qu’elles étaient censées faire». Les rapports publiés indiquent que le technicien a terminé ses travaux de réparation et a informé son superviseur que le camion était prêt à être ramassé. Alors que le chauffeur s’est présenté à l’atelier pour récupérer le camion, le technicien a décidé de faire une dernière vérification sous le véhicule, à la recherche d’outils égarés. C’est à ce moment que le chauffeur est monté dans le camion en marche et a commencé à reculer, écrasant son collègue sous le poids des roues.

Le juge a déclaré que l’atelier n’avait pas établi de procédures de verrouillage pour s’assurer que le véhicule ne pouvait pas être déplacé, et que le transporteur n’avait pas formé correctement un répartiteur chargé de déplacer le camion.

La Commission de la santé et de la sécurité au travail du Yukon a déposé des accusations contre la compagnie de pneus, le transporteur et les deux superviseurs, et des amendes de plus de 90 000$ ont été payées par les trois parties à la suite des verdicts de culpabilité.

Une fascinante série télévisée intitulée Mayday a été diffusée il y a quelques années (elle est toujours disponible sur YouTube). Elle révélait les causes de nombreux accidents aériens à grande incidence et illustrait les chaînes d’événements qui ont mené aux incidents. Dans la plupart des cas, l’accident n’était pas dû à une seule défaillance humaine ou mécanique, mais plutôt à une chaîne ou une combinaison de malentendus, d’erreurs, d’omissions, de défectuosités et d’hypothèses incorrectes – tout comme dans la cause du technicien de pneus décédé.

«Dans l’industrie du transport, quand on pense à la prévention des accidents, on pense essentiellement aux accidents de la route. Mais, environ quatre fois sur cinq, la nature de l’incident est tout autre, par exemple, l’utilisation de l’équipement, les efforts excessifs et encore plus fréquemment, les chutes », indique Samuel Laverdière, conseiller chez VIA Prévention. «Il faut garder en tête que dans le transport de charges partielles, les chauffeurs passent beaucoup de temps à l’extérieur du camion.  On connait souvent les risques encourus dans notre propre entreprise, mais pas nécessairement chez les clients», poursuit-il.

Il n’y a pas si longtemps à Edmonton, on a assisté à une vague de remorques qui se sont détachées de leur tracteur au cours d’une même journée. Selon Chris Harris, président de Safety Dawg, un cabinet de conseil en sécurité des flottes, l’enquête policière a finalement pointé du doigt un individu qui avait une dent contre les camionneurs. Mais l’incident a également remis en question la façon de faire des chauffeurs. «Pourquoi n’ont-ils pas simplement vérifié si la remorque était bien attachée au tracteur avant de s’engager sur l’autoroute?», demande-t-il.

«Chaque fois que je donne une séance de formation à des chauffeurs, je souligne l’importance de se protéger eux-mêmes ainsi que leur équipement avant de commencer à conduire», explique-t-il. «Déplacez-vous autour du camion, assurez-vous qu’il n’y a rien en dessous, assurez-vous que toutes les lumières fonctionnent et que les pneus sont gonflés, et faites un test de traction et vérifiez les freins avant de quitter le stationnement.»

M. Harris ajoute que l’approche du camionnage en matière de sécurité s’est améliorée au cours des dernières décennies, mais que ce n’est toujours pas enraciné dans la culture.

«Nous tenons des réunions et des discussions de sécurité sur une base trimestrielle, mais beaucoup de flottes ne font pas le suivi et n’entretiennent pas le discours nécessaires pour institutionnaliser la pratique», de poursuivre M. Harris. «Cela ne doit pas être considéré comme une punition ou une distraction à la tâche principale. La sécurité est une façon de faire des choses qui donnent la priorité à la santé et au bien-être de tous ceux qui sont impliqués dans une tâche.»

Participation des employés

M. Harris admet qu’il peut être difficile de sensibiliser les travailleurs à un programme de sécurité. Ils pourraient être conscients des avantages potentiels d’un tel programme, mais s’ils ne se considèrent pas comme faisant partie du problème, ils ne vont pas se dépêcher d’adopter une solution. Il mentionne la protection contre les chutes à titre d’exemple.

«Il y a une différence entre danger et risque : le danger est présent partout, car on n’est jamais à l’abri d’une coupure, d’un choc, d’une chute, etc. Le risque, c’est la probabilité que le danger arrive réellement. Donc, si on n’est pas en mesure d’éliminer le danger, il faut contrôler le risque», précise Samuel Laverdière.  Il souligne que, dans la mesure du possible, éliminer la source du danger devrait être l’objectif principal de tout le monde. S’il n’est pas possible de l’éliminer complètement, on doit établir des mesures individuelles ou collectives de prévention. «Par exemple, on ne peut éliminer complètement les risques de chute pour un employé travaillant sur un toit. On doit alors mettre à sa disposition des accessoires de sécurité, comme une rampe de protection et un harnais.»

Pour maximiser l’efficacité des démarches en matière de prévention, Samuel Laverdière croit qu’il faut impliquer toutes les strates décisionnelles de l’entreprise et inciter les travailleurs à participer à l’établissement des mesures préventives. Ces derniers doivent se sentir encadrés.

«Il faut aussi garder en tête que la moyenne d’âge des camionneurs est assez élevée et qu’ils sont généralement en moins bonne santé. Donc, les délais de guérison sont plus longs. En raison de la pénurie de chauffeurs, certains camionneurs plus âgés vont rester sur la route et ce phénomène aura des répercussions sur les primes d’assurance (CSST)», analyse M. Laverdière. «C’est bien dommage, mais le langage de l’argent est souvent le seul que les gens comprennent. Il y a des coûts indirects lorsqu’un employé se blesse et subit un arrêt de travail. Ses tâches devront être comblées par quelqu’un d’autre, ce qui signifie des heures supplémentaires ou la formation d’un nouvel employé. Et c’est sans parler de la qualité de vie, du sentiment d’accomplissement et de la vie familiale de l’employé qui en souffrent à l’extérieur du travail. »

Penske Truck Leasing incite activement ses employés à travailler en toute sécurité, et un programme qui est constamment raffiné a déjà permis à l’entreprise d’économiser des «millions» en temps perdu et en réclamations de travailleurs blessés. Barry Kemper, vice-président – gestion des risques d’assurance, attribue notamment le succès du programme à une approche collaborative.

«Nous passons en revue de nombreuses installations chaque année, et notre approche consiste à être créatifs et efficaces en les aidant à régler les problèmes», explique-t-il. «Nous ne nous contentons pas d’entrer dans les ateliers, de faire des vérifications et de réprimander les responsables pour ce qu’ils ne font pas correctement.»

M. Kemper croit que la technologie a grandement facilité la tâche. À chacun de ses emplacements, Penske offre de la formation corrective et des discussions sur la sécurité par voie électronique, le tout grâce à de vidéos, des présentations et des présentateurs qui communiquent sur place avec les participants.

Chuck Pagesy, directeur de la sécurité chez Penske Truck Leasing, est la personne chargée de donner cette formation, dont l’essentiel est développé à l’interne.

«En plus des séances de formation régulières que nous animons, chaque fois qu’un incident sérieux a lieu, nous menons l’enquête et documentons l’incident pour ensuite créer une séance de formation et la partager dans toutes nos succursales aux États-Unis et au Canada», de dire M. Pagesy. «Elles ont 48 heures pour assister à la session et doivent documenter leur participation.»

La participation des travailleurs et des superviseurs est bonne, selon M. Pagesy, et il y a beaucoup de dialogue bidirectionnel. «Ce n’est pas seulement une conférence», souligne-t-il. «C’est un environnement d’apprentissage, et nous fournissons tous les outils et toute l’aide que nous pouvons pour que les gens soient impliqués.»

Penske distribue également une série d’affiches de sécurité mensuelles sur lesquelles apparaissent des codes QR. Grâce à ces codes, les travailleurs ont accès à davantage de matériel en ligne et ils peuvent participer à un quiz qui leur donne la chance de gagner une carte-cadeau de 150$.

«La carte sert à motiver l’implication», explique Barry Kemper. «Mais je crois que le message le plus fort provient de l’environnement de l’entreprise. Les techniciens savent que nous voulons qu’ils rentrent à la maison, après leur quart de travail, dans le même état qu’ils étaient à leur arrivée. Nous sommes très exigeants en ce qui concerne l’utilisation de bons outils et le respect des procédures par les techniciens, mais nous couvrons également leurs arrières. Ce n’est pas une voie à sens unique.»

Le juge qui a décidé des amendes dans la cause du technicien de pneus décédé, à Whitehorse, a blâmé l’entreprise d’entretien des pneus et le transporteur propriétaire du camion pour ne pas avoir offert suffisamment de formation et ne pas avoir mis en place des procédures mieux définies pour autoriser le camion à quitter l’atelier.

Le fait de disposer d’un clavier et d’avoir à faire une ronde de vérification, ou même l’obligation de klaxonner avant de déplacer le camion, auraient pu sauver la vie de cet individu. Un léger désagrément n’est qu’un petit prix à payer en comparaison avec une vie humaine.

Avec la collaboration de Samuel Laverdière.

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.