Quelle place pour l’hydrogène?

Le Canada peut devenir un chef de file dans le développement d’une économie de l’hydrogène. Et le Québec est dans une position exceptionnelle en matière d’électrification du transport des marchandises.

Le gouvernement fédéral a annoncé des plans ambitieux pour développer une économie de l’hydrogène au Canada, et le camionnage pourrait jouer un rôle important à la fois dans son développement et en tant que
consommateur.

En décembre, le gouvernement fédéral a publié la Stratégie relative à l’hydrogène, un document de 141 pages décrivant les possibilités de devenir un acteur dominant dans la nouvelle économie mondiale de l’hydrogène. Le Canada fait déjà partie des 10 plus grands producteurs d’hydrogène au monde et abrite Ballard Power Systems, un fournisseur mondial de piles à combustible.

Le programme albertain Zero Emissions Truck Electrification Collaboration (AZETEC) mettra deux camions alimentés à l’hydrogène sur la route plus tard cette année afin de tester la technologie dans des utilisations en situations réelles, en tirant des poids bruts de 63 500 kg avec Trimac et Bison Transport. Le déploiement des camions devait commencer l’année dernière, mais la pandémie de Covid-19 a retardé le projet.

Une semi-remorque virtuelle de type 4 de Quantum Fuel Systems utilisée pour le transport de l’hydrogène. (Photo: Quantum Fuel Systems)


Et le Québec est sur le point d’accueillir le plus grand électrolyseur à membrane échangeuse de protons produisant de l’hydrogène au monde.

Mais, en même temps, il y a des obstacles à surmonter, notamment une aversion croissante pour les pipelines, un manque de véhicules prêts pour le marché et un concurrent peu coûteux, efficace et familier : le diesel.

Pipelines virtuels

Même si le camionnage tarde à se développer en tant que consommateur d’hydrogène, ce carburant suscite déjà un intérêt croissant en tant que source d’énergie propre dans d’autres utilisations. Et les camions joueront un rôle essentiel dans le transport de l’hydrogène de son lieu de production à l’endroit où il est nécessaire. Récemment, Quantum Fuel Systems a annoncé un accord pour fournir à la gazière Certarus les premières remorques-citernes virtuelles de type 4 en Amérique du Nord pour le transport de l’hydrogène.

Une citerne de type 4 est construite en fibre de carbone et possède une doublure intérieure en polyamide ou polyéthylène pour offrir une résistance élevée et un faible poids. Le réservoir est logé dans un conteneur d’expédition outre-mer de 40 pieds. La remorque a déjà été approuvée pour le transport de l’hydrogène par Transports Canada et le DOT américain et, bien qu’elle ait été modifiée pour la composition moléculaire spécifique de l’hydrogène, «elle va ressembler à ce que nous avons sur le terrain aujourd’hui», de dire Steve Tolke, vice-président, pipeline virtuel chez Quantum Fuel Systems.

Le transport routier d’hydrogène nécessitera une production proche de la consommation afin de réduire les coûts. L’hydrogène peut aussi être envoyé par pipeline, mais cela comporte ses propres défis. Bruce Winchester, directeur général de l’Alliance canadienne pour les véhicules au gaz naturel (ACVGN), indique que l’hydrogène peut circuler via les gazoducs existants et être extrait à destination. Mais ce n’est pas idéal, à cause des frais d’extraction.

«Si cela prend de l’ampleur, nous verrons probablement apparaître des pipelines et l’hydrogène côtoyer le gaz naturel», a-t-il expliqué.

«Nous devons surmonter cette histoire de pipeline», a récemment déclaré Maggie Hanna, membre de l’Energy Futures Lab, lors d’une entrevue avec la CBC, au sujet de l’opposition croissante aux pipelines. «C’est le moyen le
plus sûr de déplacer n’importe quel fluide.»

Similarités avec le gaz naturel

L’hydrogène peut être transporté par gazoduc (jusqu’à 20 % de mélange) ou par remorques-citernes sur la route, et les similitudes ne s’arrêtent pas là. C’est pourquoi l’ACVGN s’engage dans des discussions sur ce carburant émergent, que certains pourraient considérer comme un concurrent du gaz naturel.

«Je crois que beaucoup de nos membres du côté de l’approvisionnement vont fournir de l’hydrogène pour ce marché quand il sera prêt et lorsque les flottes seront intéressées», présume M. Winchester. Il souhaite que les politiques et procédures de sécurité déjà utilisées par l’industrie du gaz naturel soient mises à jour pour accueillir l’hydrogène plutôt que de les réécrire à partir de zéro.

Hydra Energy s’est associé à Chemtrade pour produire de l’hydrogène dans une usine chimique en Colombie-Britannique. (Photo: Hydra Energy)

Et il pense que les flottes intéressées par la transition vers les piles à hydrogène devraient d’abord acquérir une certaine expérience avec le gaz naturel.

«Une flotte aura beaucoup plus de facilité à se lancer dans l’hydrogène comme carburant si elle a passé du temps ou si elle a une certaine expérience avec le gaz naturel», dit-il. «Tous les équipements ne sont pas interchangeables, mais une grande partie l’est.»

Où sont les camions

On en est encore au stade de la recherche-développement en ce qui a trait aux véhicules électriques à pile à combustible (VEPC). Nikola Motor Company, qui a été parmi les premiers fabricants à parler de camions lourds alimentés à l’hydrogène, a récemment annoncé que ses premiers VEPC entreraient en production au second semestre de 2023, tandis que la version longue distance sera lancée un an plus tard.

Nikola s’est associé au brasseur américain Anheuser Bush pour développer la technologie et s’approvisionnera en piles à combustible auprès de General Motors et Bosch.

Kenworth a construit cinq VEPC T680 en partenariat avec Toyota, et cinq autres devraient entrer en service cette année. Ces camions travaillent au port de Los Angeles, et l’un d’entre eux a fait la une des journaux en tant que premier VEPC à atteindre le sommet de Pikes Peak dans le Colorado. Hino s’est également associé à sa société mère Toyota pour mettre au point un tracteur à pile à hydrogène de classe 8 destiné au marché nord-américain, dont le premier prototype devrait être construit au début de cette année.

Pendant ce temps, la course pour être parmi les premiers à mettre sur le marché des camions à pile à combustible à hydrogène a donné lieu à d’étranges unions. Daimler et Volvo ont récemment annoncé la création d’une coentreprise mondiale pour développer des piles à hydrogène dont la production commencerait à Burnaby, en Colombie-Britannique. L’accord a été approuvé et conclu le 1er mars et la nouvelle coentreprise s’appelle cellcentric.

Cummins veut également s’établir comme un chef de file dans cette industrie émergente. La compagnie a annoncé son intention de travailler avec Navistar au développement d’un camion de classe 8 que Werner Enterprises exploitera lors d’essais en Californie. Cummins dit avoir déjà déployé plus de 2 000 installations de piles à combustible dans le monde et construit des électrolyseurs pour générer de l’hydrogène vert. Le plus grand d’entre eux, et aussi le plus grand au monde, est presque terminé et il se trouve à Bécancour.

En plus de travailler avec Cummins, Navistar collabore avec GM pour mettre en service un camion à pile à combustible de JB Hunt à la fin de l’année prochaine.

Même s’il n’est pas possible d’acheter un VEPC de classe 8 aujourd’hui, la technologie mûrit dans d’autres segments, souligne Kevin Otto, responsable technique de l’électrification au North American Council for Freight Efficiency.

«Les camions lourds à pile à combustible à hydrogène sont techniquement viables», a-t-il déclaré. «La technologie a connu des décennies de maturation dans les autobus, les voitures et les utilisations industrielles. L’adaptation des piles à combustible aux camions lourds aura sa courbe d’apprentissage comme toutes les nouvelles technologies, mais les piles à combustible ne sont pas une toute nouvelle technologie.»

Le Québec en pole position

Le Québec est dans une position exceptionnelle en matière d’électrification du transport des marchandises, qu’il soit électrique à batterie ou à pile à combustible. Hydro-Québec souhaite contribuer à la création d’une filière québécoise de l’hydrogène vert.

L’hydrogène vert est produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable plutôt que par reformage du méthane, ce dernier procédé étant fortement émetteur de GES.

«L’hydrogène vert peut alimenter les VEPC qui pourraient remplacer les camions lourds au diesel, voire les trains, pour le transport des marchandises», indique la société d’État dans un communiqué.

«L’hydrogène suscite un engouement considérable à l’échelle mondiale. Cet engouement offre au Québec l’occasion de se positionner dans la filière internationale de la production d’hydrogène vert», poursuit Hydro-Québec. «Le Québec bénéficie de nombreux atouts favorables à la production d’hydrogène vert. Au premier chef, nous pouvons compter sur de l’électricité renouvelable à prix compétitif et sur d’importantes réserves d’énergie disponibles en tout temps grâce aux capacités de stockage de nos grands réservoirs hydroélectriques.»

En décembre dernier, Hydro-Québec a annoncé qu’elle construira et exploitera, à Varennes, une usine d’électrolyse d’une capacité de 88 mégawatts (MW), ce qui en fera l’un des électrolyseurs les plus puissants du monde pour la production d’hydrogène vert.

L’équipe de recherche du professeur My Ali El Khakani, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), a joint ses efforts à une équipe de l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (ICPEES) de l’Université de Strasbourg, pour produire de l’hydrogène à partir de la lumière du Soleil.

Selon le professeur El Khakani, le Québec pourrait se positionner stratégiquement dans le développement de l’hydrogène. «Grâce à des nanomatériaux performants, nous pouvons améliorer l’efficacité de dissociation de l’eau pour produire de l’hydrogène. Ce carburant “propre” occupe une part croissante dans le secteur du transport intensif et lourd, pour le camionnage et le transport public par exemple. Ainsi, des autobus qui utilisent l’hydrogène comme combustible sont déjà en circulation dans plusieurs pays européens et en Chine. Ces autobus rejettent de l’eau au lieu des gaz à effet de serre», soutient le physicien et spécialiste des nanomatériaux.

Les équipes de l’INRS et de l’ICPEES ont développé des électrodes possédant une ingénierie et une structure particulières qui, sous le rayonnement du Soleil, dissocient la molécule d’eau (processus de photocatalyse). Elles ont sélectionné un matériau très abondant et très stable chimiquement : le dioxyde de titane (TiO2).

«Le TiO2 est un semiconducteur connu pour sa photosensibilité aux rayons ultraviolets, qui n’occupent que 5 % du spectre solaire. Les chercheurs ont mis à profit leur expertise dans le domaine pour d’abord changer la composition atomique du TiO2 et étendre sa photosensibilité à la lumière visible. Ils ont ainsi réussi à produire des électrodes pouvant absorber jusqu’à 50 % de la lumière émise par le Soleil. Un gain significatif dès le départ», indique l’INRS.