Tout recommencer

Suspensions et Ressorts Michel Jeffrey avait besoin d’eux pour survivre. Eux veulent offrir une meilleure vie à leurs familles. L’histoire de cinq hommes qui ont décidé de s’exiler pour travailler.

Antonio, Ericson, Mario, Edelmer et Dexter avaient vu la première neige de leur vie deux jours auparavant mais, il n’y avait probablement pas plus heureux que ces cinq-là dans le froid de Québec, tout sourires autour de la table de la salle de conférences de Suspensions et Ressorts Michel Jeffrey.

Les cinq sont arrivés ensemble des Philippines il y a deux mois, et ils travaillent comme mécaniciens ou soudeurs dans l’atelier.

L’arrivée de travailleurs étrangers n’est rien de moins qu’essentielle à la survie de l’entreprise de l’avenue Watt.

«Après 35 ans en affaires, nous étions arrivés à la croisée des chemins : ou nous fermions le quart de soir, ou nous allions chercher de la main-d’œuvre étrangère», explique la présidente Karen Jeffrey.

«Nous nous sommes fait dévaliser», image le fondateur Michel Jeffrey. «Les mécaniciens se font offrir des emplois dans le Grand Nord à des salaires de plus de 50 $ l’heure, logés, nourris et habillés. Sans compter ceux qui partent travailler pour les concessionnaires »

Ni plus ni moins, les mécaniciens du Québec sont devenus les immigrants du Nord. Et ils arrivent là-bas déjà formés!

«Auparavant, tout le monde s’auto-suffisait. Aujourd’hui, il manque de main-d’œuvre partout», constate Mme Jeffrey.

Elle et son associé se sont donc rendus faire du recrutement aux Philippines en décembre 2018. En septembre dernier, ses cinq nouveaux employés sont arrivés. «Après neuf mois, j’ai accouché de quintuplés… qui faisaient leurs nuits!» blague-t-elle.

«Le processus a été simple parce que la firme Solution Recrutement International nous a offert un clé en main. Nous avons donné une description de ce que nous cherchions exactement, nous avons fait une sélection puis nous avons passé les entrevues une fois rendus là-bas.»

Lorsqu’elle est allée aux Philippines, Karen Jeffrey a rencontré en trois jours 30 candidats intéressés à venir combler des postes dans son entreprise. Il n’y a pas eu de temps à l’horaire pour faire du tourisme. Mais le résultat a été concluant.

«Nous étions certains de nos choix. C’était eux que nous voulions», dit-elle. «Ce qui les a démarqués, c’est leur expérience et leur facilité à parler anglais. Aussi, ils nous ont expliqué toutes leurs habiletés et tout ce qu’ils peuvent faire, et ils sont vraiment sympathiques!»

Le rêve d’une vie meilleure

Les neuf mois d’attente ont paru longs pour les nouveaux arrivants.

Ils ont entre 30 et 39 ans, et tous ont une famille restée aux Philippines, à l’exception du plus jeune, Edelmer, qui est célibataire.

D’emblée, Antonio a tenu à «remercier Karen et M. Stéphane» (Charbonneau, associé dans l’entreprise). Il précise que sa vie ici est facile parce qu’il reçoit tout l’appui dont il a besoin.

Avant d’arriver, ils ont exercé leur métier de mécanicien ou de soudeur aux Philippines, en Arabie saoudite et au Japon, certains chez des concessionnaires, un autre pour une flotte d’autobus. Ils ont entre cinq et douze ans d’expérience.

Pourquoi choisir de venir ici?

Parce que le Canada et le Québec ont une excellente réputation aux Philippines. Les gens vantent notre culture et notre gentillesse. Même le gouvernement philippin fait de la promotion qui vante le Canada comme étant le pays numéro un où émigrer pour le travail.

Venir ici est un rêve qui devient réalité pour eux.

«Il n’y a pas de discrimination et les gens s’aident les uns les autres», explique Ericson. «Quand les gens nous rencontrent, ils nous sourient!»

Ils savaient avant d’arriver que le français était la langue d’usage à Québec. Leur langue maternelle est le tagalog et ils parlent aussi l’anglais, qu’ils ont appris à l’école comme langue seconde. Ils ont suivi un total de 300 heures de cours de français aux Philippine tous les samedis avant leur arrivée. Ils connaissent donc déjà un certain nombre de mots de base en français.

Apprendre le français fait d’ailleurs partie des conditions qui leur sont imposées pour immigrer. Depuis la fin novembre, ils doivent assister à quatre heures de cours de français toutes les semaines hors de leurs heures de travail.

Ils sont présentement en formation durant le quart de jour, mais ils passeront ensuite au quart de soir après le temps des fêtes.

Ce n’est pas un secret : le salaire ici est excellent. Le salaire moyen aux Philippines est de quelque 300 $ par mois. En Arabie saoudite, ils gagnaient environ 1 200 $ par mois. Ici, ils sont payés selon un tarif déterminé par le gouvernement, qui est d’un peu plus de 20 $ l’heure pour une semaine de 40 heures, en plus des heures supplémentaires qu’ils peuvent faire.

«Quand j’ai su que Karen et Stéphane acceptaient de me donner une chance de venir travailler ici, j’ai rapidement fait les démarches pour partir de l’Arabie saoudite et j’ai attendu avec impatience que se déroule le processus d’immigration au Québec», raconte Dexter.

La partie la plus difficile pour ceux qui ont femme et enfants, c’est évidemment d’être séparés de leur famille. Leur souhait, c’est qu’elles viennent les rejoindre le plus vite possible, mais cela n’est pas garanti. Il peut s’écouler trois ans avant qu’ils ne puissent revoir leur famille, soit la durée de leur permis de travail. Ils peuvent évidemment aller les voir à leur guise, mais les frais à débourser sont très élevés pour eux.

«Ils préfèrent garder leur argent pour en envoyer le plus possible à leur famille», explique Mme Jeffrey. « Au Canada, il est encore possible pour des gens comme eux, qui viennent pour travailler avec des contrats de trois ans, d’obtenir une citoyenneté, et c’est sur cela qu’on se base pour faire venir leur famille plus rapidement.»

D’ici là, ils gardent contact avec eux au moyen des médias sociaux Facetime ou Skype.

«C’était d’ailleurs leur demande la plus importante : avoir Internet dans leur appartement», sourit Karen Jeffrey. «Ils avaient très hâte que je leur donne le code du Wifi!»

«Aux Philippines, les conditions de vie sont difficiles. On survit. Nous faisons ces sacrifices car l’avenir de notre famille, de nos enfants en dépend», de dire Mario, père d’un jeune garçon. Cet argent qu’ils envoient permet-il à leur famille de vivre très à l’aise là-bas? «Disons qu’elles survivent mieux que les autres», lance-t-il, obtenant l’approbation unanime du groupe.

L’exil est le prix à payer pour pouvoir envoyer leurs enfants dans une école privée dans le cas de Dexter et Ericson. Les écoles publiques sont gratuites, mais n’offrent pas une éducation de qualité. Ericson a expliqué à sa fille que s’il partait si loin et si longtemps, c’était pour elle et son avenir.

En prendre soin

Ils sont extrêmement reconnaissants envers leur nouvel employeur. Il faut dire que Karen Jeffrey les traite comme une mère le ferait. Elle est allée avec eux ouvrir des comptes de banque, prendre les photos pour la carte d’assurance-maladie. Elle leur a déniché un bel appartement à distance de marche du travail, où ils logent tous les cinq, et l’a meublé et décoré. «Notre appartement est plus beau que ma maison aux Philippines», de dire Dexter. Elle leur fournit une voiture pour faciliter leurs déplacements en hiver. Elle est allée magasiner avec eux pour leur acheter leurs premiers vêtements chauds. « C’est un travail d’équipe, plusieurs employés participent à leur intégration », précise Mme Jeffrey.

«Nous sommes très choyés de l’avoir comme patronne!», ont-ils lancé, presque en chœur.

Ils connaissent d’autres Philippins qui travaillent ici mais qui sont séparés. Ils se considèrent chanceux d’habiter ensemble.

Dans leur appartement, chacun a sa tâche. Dexter cuisine, Mario fait le ménage, Edelmer fait la lessive, Antonio sort les poubelles. Quant à Ericson, il s’est empressé de dire, à la blague évidemment, qu’il est le patron!

Ils fréquentent la communauté philippine de Québec et ont fait des visites touristiques. Ils ont visité le Vieux-Québec et les chutes Montmorency, qui semblent les avoir particulièrement impressionnés. Ils ont aussi fait une expédition à l’autre bout de l’autoroute 20 pour monter le Mont-Royal!

Dans l’atelier, ils doivent se familiariser avec les outils et les méthodes de travail. Ils ont vu et manipulé beaucoup plus de clés à molette que de clés à chocs pneumatiques dans leur vie.

«Il est beaucoup plus facile de travailler ici en raison des outils et des équipements qui sont plus modernes», assure Antonio.

«Ils ont eu besoin de formation pour travailler avec l’équipement que nous avons et pour le faire de façon sécuritaire», indique Karen.

Ils sont appelés à travailler sur tout ce qui se trouve sur un camion ou une remorque, à l’exception des moteurs.

Ce qu’ils apprécient le plus dans leur travail, c’est la qualité de l’environnement de travail, l’entraide, le travail d’équipe et… le chocolat chaud à volonté, d’ajouter l’un d’eux, dans un fou rire généralisé.

L’intégration et l’accompagnement sont deux clés essentielles au succès d’un projet d’immigration. «Quand on embarque dans ce projet, il faut s’investir pleinement et impliquer tout le monde», de dire Karen Jeffrey.

Le projet prendra encore en peu plus d’ampleur en mars prochain, alors que trois autres travailleurs Philippins arriveront dans l’entreprise.

Relations humaines

Lorsque les travailleurs philippins sont arrivés dans l’entreprise, ils ont été jumelés avec des employés en poste afin de s’assurer que leurs méthodes de travail soient correctes et pour faire la mise à niveau de leurs connaissances. «La sécurité ici, c’est vraiment différent de ce à quoi ils étaient habitués», de dire Michel Jeffrey. Ils n’avaient jamais eu de coffre à outils. Leur nouvel employeur leur en a offert chacun un et les a garnis. «Ils étaient comme des enfants le jour de Noël», se rappelle Karen.

Accueillir des travailleurs immigrants demande des investissements en temps et en argent, «mais ils nous le rendent bien», poursuit Mme Jeffrey.

D’ailleurs, Karen est amie Facebook avec les épouses des cinq travailleurs. «Leurs femmes m’écrivent qu’ils sont bien avec nous et nous remercient de prendre soin d’eux. Je suis là aussi pour répondre à leurs questions.»

Pour deux d’entre eux, ce sera leur premier Noël loin de leur famille, une situation qui interpelle beaucoup Karen. «On réfléchit à ce que l’on peut faire. Je dis à la blague que j’en ai adopté cinq; j’ai de la difficulté à concevoir de les laisser seuls à Noël. Ils font partie de la famille, comme tous nos autres employés.»

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.