Trans-West: une affaire d’équipe. Entrevue avec son président, Réal Gagnon.


C’est près de la frontière du Québec et de l’Ontario, aux petites heures du matin, que Réal Gagnon a vu l’image qui allait influencer son avenir.

«J’avais 16 ans. Mon père, propriétaire de Roberval Express, m’avait réveillé pour aller à Rivière-Beaudette», se rappelle le président du Groupe Trans-West, la 12e plus grande flotte publique du Québec selon notre sondage annuel.

«Derrière le comptoir du truck stop où nous sommes arrêtés déjeuner, il y avait une photo d’une flotte de camions américains. Des beaux Peterbilt. Tous les chauffeurs étaient habillés pareil. Ce matin-là, je me suis dit : c’est ça que je veux. Ça a été mon flash. Mon objectif.»

Une quarantaine d’années plus tard, Réal Gagnon peut dire qu’il a réussi. Son entreprise, spécialisée dans le transport réfrigéré longue distance, affiche un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars, est membre du Club Platine des Sociétés les mieux gérées au Canada, qui regroupe les entreprises qui conservent le titre de Mieux gérée pendant au moins sept années consécutives, et a été nommée meilleur transporteur en sécurité en Amérique du Nord par l’American Trucking Associations en 2017, en plus d’avoir décroché plusieurs deuxièmes et troisièmes places au cours des années antérieures.

Dormir sur une planche avec les moustiques

Douzième Gagnon de sa lignée, Réal a été élevé dans le camionnage.

Avoir un patron au-dessus de lui ne l’a jamais intéressé. Opérateur habile doté d’un esprit d’entreprenariat inné, le métier de voiturier-remorqueur l’appelait, lui offrant la liberté et l’autonomie qu’il recherchait.

«C’est un peu ça qui m’a fait partir de l’entreprise familiale. J’étais le plus jeune, mais je voulais surtout être autonome, avoir mon camion, conduire pour conduire.»

À 17 ans, il a acheté son premier camion, un GM Astro avec un moteur 318 qu’il n’a pas gardé très longtemps, parce qu’il lui a occasionné quelques problèmes.

Puis il a acheté un International S2575 à cabine de ville. Pour faire de la longue distance dans l’Ouest canadien! «J’ai fait un an et demi dans l’Ouest canadien sans compartiment-couchette!», lance-t-il.

Pour dormir, il y avait son sac de couchage à sa droite et, derrière, la planche qui lui servait de matelas une fois déposée sur les deux sièges. Stratégiquement percé, un trou permettait de faire passer le bras de vitesse à travers la planche. «Je me couchais avec les maringouins, à 2 heures du matin», sourit M. Gagnon. Ah oui! Il n’y avait pas d’air climatisé non plus.

«Je voulais acheter le strict minimum, mais flambant neuf», de dire Réal Gagnon. «Les payes se sont mises à entrer, j’ai vendu mon Inter et je me suis acheté un Freightliner noir. Je transportais de la machinerie lourde. Ensuite, je suis allé travailler sur la Côte Est américaine.»

C’est en 1981 que Réal Gagnon a acheté sa première remorque frigorifique et a commencé à faire du transport au Texas et en Californie, jusqu’à ses 30 ans.

L’entreprise familiale se spécialisait dans le transport frigorifique. C’est donc là que Réal Gagnon a acquis l’expertise qui allait lui être importante plus tard. Mais, à l’époque, il fallait des permis de transport difficiles à obtenir, d’autant plus dans le frigorifique au Québec. C’est pour cette raison qu’il a commencé à faire du transport aux États-Unis.

«Avec le transport longue distance, je faisais un voyage aller-retour. Pas besoin de me trouver trois voyages dans la semaine et d’aller trois fois à Philadelphie. J’avais déjà essayé et je n’aimais pas ça», relate-t-il.

Le transport longue distance offrait un autre rythme de travail. Mais il y avait aussi un bon montant d’argent rattaché au bout du voyage.

«Dans l’entreprise familiale, j’ai travaillé dans tous les départements, dont la facturation. Je faisais des factures de 200 ou 300 $. Quand mon père m’a demandé pourquoi j’aillais si loin, je lui ai répondu, quand je fais une facture, je fais une facture… de 4 000 $!»

Les débuts d’une nouvelle entreprise

L’histoire classique du voiturier-remorqueur qui a bâti une importante entreprise de camionnage avec le temps s’applique parfaitement à Réal Gagnon. À mesure que les affaires grandissaient, il confiait de plus en plus de voyages à des confrères. Au début de la trentaine, il a commencé à réduire son temps sur la route et à bâtir Trans-West.

Le modèle d’affaires initial s’appuyait donc sur l’utilisation de voituriers-remorqueurs. Au moment de son incorporation, Trans-West possédait un camion. Au fil du temps, le personnel routier a atteint quelque 80 voituriers-remorqueurs.

Réal Gagnon raconte : «Nous avons fonctionné comme ça un bon bout de temps. Quand les remorques de 53 pieds sont arrivées sur le marché, nous avions des clients dans le secteur du meuble qui voulaient ce type de remorque, mais les voituriers-remorqueurs ne voulaient pas acheter de ces remorques. C’était à la fin des années 90. C’est à ce moment que j’ai dû choisir entre fonctionner avec des voituriers-remorqueurs à 100 pour cent, ou être une flotte corporative à 100 pour cent. On ne pouvait pas être entre les deux. Un moment donné, j’ai pris un grand virage.»

La transition, qui s’est faite sur trois ans, a été exigeante pour l’entreprise qui est devenue en charge du matériel roulant, de l’entretien, des assurances et qui devait payer ses chauffeurs. Mais en optant pour une structure avec chauffeurs et ateliers de mécanique, M. Gagnon bénéficiait d’avantages prioritaires à ses yeux : la flexibilité, l’efficacité et l’autonomie.

La flexibilité, par exemple, de spécifier les camions en fonction de l’efficacité énergétique, qui a toujours été une priorité pour Réal Gagnon.

«Le carburant commençait à coûter cher. J’entendais des voituriers me dire qu’ils ne gagnaient pas assez, alors que leurs camions faisaient cinq milles au gallon, et les miens 6,5.»

Trans-West est reconnue comme une flotte avant-gardiste en matière d’efficacité énergétique. Elle possède d’ailleurs la certification SmartWay de l’Environmental Protection Agency des États-Unis  depuis sept ans. Son président avoue qu’il a quelques fois été trop avant-gardiste. Avec les pneus simples à bande large, par exemple, dont les premières générations étaient pourvues de composés perfectibles. Ou les systèmes de gonflage automatique, qui gonflaient les pneus mais ne les dégonflaient pas (un problème qui a été résolu depuis). «Nous jouons avec de grands écarts de température. En hiver, nous partons d’ici à -20 degrés et nous ajustons la pression en conséquence, mais nous arrivons en Californie à + 30 degrés. On se retrouvait avec des pressions de 110-120 PSI quand nous voulions avoir 95.»

L’efficacité de la flotte en général et l’efficacité énergétique en particulier chez Trans-West passe d’abord par une bonne spécification des véhicules et par l’information. À l’époque, Réal Gagnon parlait déjà de données.

«Nous avions différentes configurations de camions, mais nous avions des données, sur la consommation de carburant notamment. Aujourd’hui, on est sur une autre planète en ce qui a trait à l’information : on a des données sur les poids, les distances, les destinations, le moteur, le carburant, les chauffeurs, les conditions d’exploitation, etc.»

Les camions de Trans-West se sont souvent prêtés, et se prêtent encore souvent, à différents tests. Pour les fournisseurs, la compagnie se veut un banc d’essai sur route exceptionnel, car ils savent que ses véhicules font beaucoup de kilométrage en peu de temps, et ce, dans des conditions réelles.

Les données aident Trans-West à prendre les bonnes décisions. «Si tu n’as pas la bonne information, tu ne peux pas prendre les bonnes décisions», résume M. Gagnon. «J’ai appris que tu ne peux pas avoir plus cher que les autres, mais tu peux contrôler tes dépenses. Mieux tu contrôles tes dépenses et ton réseau d’opérations, mieux tu vas arriver.»

Investir dans la main-d’oeuvre

La pénurie de routiers professionnels met une pression additionnelle sur les flottes, et Réal Gagnon mise sur l’innovation pour attirer et garder ses gens. Trans-West fonctionne presque exclusivement avec des équipes de deux conducteurs qui se relaient pour transporter majoritairement en Californie. Ses camions roulent 45 millions de milles par année.

«Ce que je demande à mes routiers, c’est d’être autonomes, responsables et sécuritaires. Nous sommes très sélectifs à l’embauche. Quand tu fais du team, tu dois comprendre qu’il y a toujours quelqu’un qui dort derrière. C’est une responsabilité qui s’applique tout le temps.»

«Trois choses sont très importantes pour moi en ce qui a trait aux routiers», affirme Réal Gagnon. «Ils doivent être bien payés, ils doivent faire le millage qu’on leur a promis et ils doivent avoir du bon équipement.»

Pour le président de Trans-West, il est primordial aussi de ne jamais demander aux autres ce qu’il ne ferait pas lui-même, et conduire un camion qui n’est pas propre et en bon ordre n’est pas envisageable.

«On s’assure que ces trois priorités soient présentes et, au-dessus de tout ça, il faut qu’il y ait du respect envers les chauffeurs.»

L’entreprise passe une vingtaine de candidats camionneurs en entrevue par semaine, mais «il y a peu d’élus», indique M. Gagnon. «J’ai toujours dit que je préfère avoir dix camions à la clôture plutôt que dix personnes qui ne sont pas capables de conduire.»

La flexibilité des horaires est une des qualités les plus reconnues de Trans-West. L’entreprise compte quelque 550 chauffeurs pour 200 camions environ et, dans l’ensemble, elle réussit à faire travailler ses routiers les journées qu’ils veulent travailler, et à leur donner congé quand ils le veulent.

«Ils partent durant cinq jours en moyenne. Il y a des gens de l’extérieur qui font deux ou trois voyages consécutifs, puis retournent chez eux une dizaine de jours. Ils aiment la flexibilité qu’ils ont chez nous en ce qui a trait aux horaires.»

Cela exige une certaine logistique, bien sûr. Quand les routiers reviennent d’un voyage, ils donnent leurs disponibilités. Autant que possible, ils partiront la journée qu’ils ont demandée. Sinon, le départ sera ajusté d’avance au meilleur des possibilités et le routier en sera avisé immédiatement pour éviter les frustrations.

Réal Gagnon est fier de dire qu’au cours des deux dernières années, Trans-West a investi plus de cinq millions de dollars dans la paye de ses routiers, soit 1,5 million en 2017 et 3,5 millions cette année.

La relève est là

Réal Gagnon a en main deux atouts importants qui lui permettront d’assurer la pérennité du Groupe Trans-West : une relève à la direction et une relève sur la route.

Durant l’année, il organise deux BBQ du président qui durent chacun une semaine. Ces événements lui permettent d’échanger avec les employés et leurs familles. M. Gagnon dit en retirer beaucoup d’échanges positifs et constructifs qui lui permettent de se montrer optimiste face à l’avenir.

«Je rencontre les routiers et je vois qu’il y a une belle relève. Des jeunes qui viennent chez nous et qui aiment ce qu’ils font. Ils sentent le camion!»

Au point de vue administratif, Réal Gagnon dit avoir été le «One Man Show» de l’entreprise jusqu’à l’âge de 40 ans. Depuis une vingtaine d’années, il a commencé à confier des rôles clés à des personnes clés.

«J’ai commencé à m’entourer de bon monde, des gens plus jeunes qui sont encore autour de moi. Mes enfants, Patrick et Audrey, travaillent dans l’entreprise. Mon épouse Tania-Rose a travaillé dans l’entreprise à différents niveaux et elle s’occupe du marketing et des événements spéciaux.»

La relève est là, et les objectifs du Groupe Trans-West demeurent les mêmes.

«On veut que la paye soit parmi les meilleures dans notre secteur d’activité. On veut que nos routiers bénéficient du meilleur matériel roulant. On veut être la meilleure entreprise pour laquelle travailler.»

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.