Après un grave accident, Éliane Plamondon apprivoise sa nouvelle logistique de vie

La vie d’Éliane Plamondon a basculé à l’été 2019 lors d’une tranquille balade à moto dans le parc national de la Mauricie.

Un automobiliste, qui s’était arrêté sur l’accotement dans une courbe, lui a coupé le chemin en réintégrant la route alors qu’Éliane arrivait derrière sur sa moto. Elle n’a eu aucune chance d’éviter la collision et elle a terminé sa chute dans un boisé, une fracture ouverte à une jambe. Elle a attendu une heure trente avant d’être secourue.

L’automobiliste n’a jamais réalisé ce qui s’était passé et ne s’est jamais arrêté. Éliane n’a jamais su qui était cette personne.

Une bactérie qui s’est attaquée à la blessure d’Éliane l’a obligée à subir sept opérations en 18 mois, toutes infructueuses. En janvier 2020, à bout de ressources et fatiguée d’avoir mal, elle a pris la décision de subir une amputation. Ce qui a été fait au mois d’octobre suivant. Depuis, elle doit porter une prothèse pour se déplacer et travailler.

Au fait, Éliane est conductrice de camion pour Transport Double W à Saint-Augustin-de-Desmaures.

Diplômée du CFTC en 2004, elle a commencé à conduire en janvier 2005. «Je voulais voir dehors : le soleil, la pluie, les saisons», dit-elle pour expliquer son choix de carrière. Au cours des années, elle a conduit un peu de tout, des camions à benne aux trains de type B.

Éliane Plamondon (Photo: courtoisie)

Elle a aussi travaillé en courtage et comme répartitrice, une expérience qui lui a permis de mieux comprendre les rouages du transport. «Quand le répartiteur me dit quelque chose aujourd’hui, je sais mieux s’il a raison ou pas», sourit-elle.

Elle travaillait comme répartitrice chez VTL Express lorsque l’accident est arrivé. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est l’accident qui l’a ramenée derrière le volant d’un camion.

«Après l’accident, mon mindset a changé. À mon retour au travail, j’ai réalisé que je n’avais plus envie du stress que la répartition implique. Je n’avais plus envie de mettre autant d’heures sur le travail. Oui, on en fait des heures quand on est camionneur, mais on a la tête en paix. Il y a du stress parce que tu dois être concentré sur ta route, il y a la circulation, mais la charge mentale ne peut pas être aussi lourde qu’à la répartition. Car à la répartition, tu es toujours en train d’éteindre des feux. Il faut tout le temps que tu anticipes, que tu aies des plans B, C, D, E. Je n’avais plus le gout de gérer ça.»

Douches et stationnements adaptés : une rareté

Son retour sur la route, en janvier 2023, représente une étape majeure dans la vie d’Éliane.

«J’avais peur en raison de ma condition. J’avais peur d’avoir des difficultés à faire le travail. Même si c’est du drybox, il faut sortir pour atteler et dételer, grimper dans la remorque pour arrimer la cargaison», illustre-t-elle. 

«Quand tu as tes deux jambes, ça va, mais quand tu as juste une jambe et que l’autre, tu ne la sens pas, c’est pas pareil. Je suis passée par-dessus ça et je me suis dit que je devais adopter une logistique différente.»

Éliane garde avec elle un petit escabeau à deux marches qui lui sert pour les tâches qu’elle doit effectuer en hauteur.

Mais la logistique la plus exigeante se trouve ailleurs.

D’abord, sa jambe amputée a besoin de soins quotidiens, matin et soir. Le matin, elle se lève une heure avant le départ parce que c’est le temps qu’il faut pour préparer sa jambe et enfiler sa prothèse. Le soir, il faut bien tout nettoyer. 

«Monsieur Moignon, c’est la prunelle de mes yeux», dit-elle, sourire en coin. «Si je n’en prends pas soin et que je me blesse, je ne pourrai plus travailler. Des lésions peuvent apparaitre. Ça peut s’infecter. Je ne peux pas sauter une journée.»

Après quelques heures de conduite, Éliane ressent des douleurs. Elle a développé des méthodes pour les apaiser en roulant.

Prendre une douche relève souvent du défi pour quelqu’un dans sa condition. «C’est glissant, un plancher de douche. Sur une seule jambe, je me tiens comment?»

Dans les relais routiers au Canada, les douches ne sont souvent pas accessibles aux personnes avec une mobilité réduite, constate Éliane qui apporte aussi avec elle une marchette, accessoire adapté improvisé qui lui permet de s’assoir pour se doucher.

«La plupart des relais routiers Pilot Flying J, TA et Petro aux États-Unis offrent plusieurs places pour personnes handicapées – toujours pleines d’ailleurs – et des douches parfaitement adaptées. Mais c’est une grosse lacune au Canada et particulièrement au Québec. Bien souvent, les douches sont petites et ma marchette n’entre pas.»

Éliane a adopté une routine lorsqu’elle ne trouve pas de douche accessible : elle traine avec elle des seaux, des bidons d’eau, des débarbouillettes et du savon. 

Il y a aussi la question des stationnements. «Aux États-Unis, dans tous les truck stops, y’a des stationnements pour personnes handicapées. Quand je ne l’étais pas, je me demandais à quoi ça servait, aujourd’hui je comprends.»

Éliane déplore le manque, sinon l’absence totale, de stationnements pour les camionneurs handicapés au Québec.

Elle lance un cri du cœur aux propriétaires de relais routiers ou de haltes routières : «S’il vous plait, réservez un stationnement pour personne handicapée pas trop loin [du bâtiment], ainsi qu’une douche adaptée ou adaptable.»

Résilience et lâcher-prise

Après son accident, Éliane a consulté un psychologue pendant trois ans. «Ça a été très difficile. D’un coup, je perdais ma passion, la moto, je perdais mon autonomie. Je perdais beaucoup de choses. Et je vivais de la douleur 24/7.»

Si elle ne ressent aucune peur de conduire un camion, elle ne veut pas remonter sur une moto. «Pour l’instant, le choc posttraumatique est encore trop présent. À moto, je me suis fait couper par une auto. En camion, même si un automobiliste me coupe, ce n’est pas moi qui vais encaisser le coup.»

La résilience devant de grandes épreuves peut amener du positif. Ce qu’elle a dû surmonter a aidé Éliane à devenir une meilleure personne. «Je suis beaucoup plus posée, plus douce, je vis au jour le jour. Je suis en vie, j’ai tout pour moi. Il me manque un bout de jambe, mais ça n’enlève rien à la personne que je suis.»

«C’est plus qu’un accident, c’est la vie qui change après. Mais je suis heureuse. Ça a remis mes valeurs à la bonne place et maintenant je mords dans la vie.»

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.

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