Est-ce que la transition écologique du transport routier doit inclure la batterie électrique?

C’est inévitable. Chaque fois qu’un graphique sur les sources majeures de pollution atmosphérique est présenté dans un rapport scientifique, le transport est pointé du doigt. De gros et puissants camions, des remorques de 53 pieds gorgées de marchandises, les pots d’échappement qui laissent sortir du diesel brûlé, le bruit des moteurs et leur imposante présence sur les autoroutes ne peuvent évidemment pas échapper à l’imaginaire collectif.

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La transition écologique en transport mise sur la table. Photo : Istock

Tournant autour du 20%-25% de toutes émissions de gaz à effet de serre (GES) générées dans le monde (44% au Québec grâce à l’électricité qui réduit considérablement les émissions dans d’autres sphères d’activités économiques), les transports (camionnage, bus, mine, agriculture et automobile) ont commencé à prendre conscience, voilà plus ou moins 15 ans, de leurs responsabilités dans la pollution et la nécessaire transition énergétique en cours.

Depuis ce temps, des efforts de plus en plus importants sont fournis par l’industrie du transport de marchandise pour en atténuer les effets négatifs. Les manufacturiers de camions, la chaîne d’approvisionnement, les fournisseurs, les transporteurs, les chauffeurs et les autorités publiques tentent d’ouvrir des filières technologiques moins polluantes.

Du gaz naturel à l’hydrogène en passant par les batteries électriques, les solutions se multiplient un peu partout en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. La conduite écoresponsable, les pneus écoénergétiques, les fluides plus performants, des matériaux plus légers, solides et résistants, une aérodynamique améliorée et une logistique de transport dont une gestion technologique serrée tend à maximiser les rendements, réduire les parcours et bonifier le bilan carbone.

La batterie électrique

Malheureusement, le transport routier pourra difficilement en faire davantage tout seul. Il est captif d’un capitalisme mondialisé, consumériste et axé sur le dogme de la croissance économique infinie. Une pression qui lui impose le rythme. Pris entre l’arbre et l’écorce, donc entre l’industrie manufacturière et le consommateur (privé, commercial, industriel, institutionnel), il a besoin d’aide afin de réduire son bilan carbone au minimum.

Ce qui est loin d’être simple.

C’est ici que la batterie électrique est néanmoins considérée, par plusieurs, comme une bouée de sauvetage efficace afin de freiner la pollution atmosphérique qui tue, annuellement, trois fois plus que la COVID-19 dans le monde: 8,7 millions de décès prématurés ont été répertoriés en 2018 seulement.

Or, ce discours de la bouée de sauvetage n’a généralement tendance à prendre en compte que l’utilisation de l’énergie stockée dans les batteries de camions, de bus et d’automobiles. On évacue totalement tout ce qui vient en amont : l’extraction et le traitement des nombreux minerais qui entrent dans la composition d’une batterie.

Des ressources très polluantes à extraire…

C’est ce que Laurent Castaignède nomme le messianisme technologique. Auteur du livre Airevore, ou la face obscure des transports aux éditions Écosociété, M. Castagnède mentionne que la batterie électrique est globalement très émissive en terme de GES.

70% de plus qu’un véhicule équipé d’un moteur à combustion, en fait.

Il y a d’abord les machines qui déplacent les minerais afin de trouver du lithium, aluminium, cuivre, manganèse, cobalt, fer et autres nickel qui entrent dans la composition d’une batterie. Ces engins, qui peuvent consommer jusqu’à 450 litres de carburant en seulement 12 heures de travail, doivent forcément être ajoutés au bilan carbone. Tout comme les déchets toxiques produits ainsi que la dégradation des sols et des nappes phréatiques environnants.

Pour le raffinage du lithium, par exemple, ça prend beaucoup d’acide sulfurique qu’on laissera ensuite dégrader les sols et l’eau. Produire 66 000 tonnes de carbonate de lithium par année, une mine aura besoin de 12 000 litres d’eau par seconde pour extraire ledit minerais.

… Et à exploiter.

Il faut ensuite ajouter, à l’extraction des métaux des batteries électriques, la façon de produire l’électricité qui sera stockée dans les batteries. Nous sommes chanceux, au Québec, que l’hydroélectricité soit aussi abondante et peu polluante. Ce qui n’est pas le cas partout.

Le pétrole, le gaz naturel et le charbon sont autant d’énergies fossiles polluantes qui servent à fabriquer de l’énergie à mettre dans les batteries.

Au printemps dernier, l’Agence internationale de l’énergie publiait un rapport dans lequel elle souligne que le lithium pourrait venir à manquer dès 2030. Or, les ventes de véhicules électriques ont doublé en un an pour atteindre 6,6 millions d’unités. Et rien n’indique que cette progression ralentira dans les années à venir. C’est même le contraire qui se produira.

Il faudra, dit l’Agence, ouvrir 50 mines afin de produire 500 kilotonnes de minerais divers pour répondre à l’explosion de la demande. Et les transporter par bateaux de l’Australie, du Congo, de la Chine et du Chili afin d’être transformés. C’est là, en fait, où la vaste majorité des réserves connues se trouve.

Avec des concentrations moins importantes des métaux – la géologue française Aurore Stéphant mentionne par exemple que de .005% à .015% de lithium peut être capté par tonne de minéraux retournés – les coûts, déjà exorbitants, risquent d’augmenter du fait de la rareté.

C’est ce que dit Philippe Bihouix écrit dans son livre Quel futur pour les métaux?. La quantité limitée des métaux exploitables dans les 20-30 prochaines années rend impossible, voir non-souhaitable, l’alimentation de toute l’industrie du véhicule roulant avec des batteries électriques.

Quoi faire alors?

Avec un inventaire actuel de quelque 1,4 milliard de véhicules dans le monde, on devra donc regarder ailleurs pour renouveler le parc mondial véhicules, réduire les émissions de GES, la mortalité associée à la pollution atmosphérique et la surutilisation de ressources aussi chères que polluantes à exploiter.

Une solution intéressante pour réduire le nombre de véhicules serait encore de financer, par une taxe sur les transactions financières, des transports collectifs massifs, efficaces, tentaculaires et économiques dans les centres urbains du monde entier. Ça libèrerait les routes, et laisserait la priorité de ces ressources naturelles névralgiques et rares aux besoins du transport routier, collectif et scolaire.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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