La Presse présente un dossier sur le stratagème Chauffeur inc.

Le phénomène Chauffeur inc. est mis en lumière ce matin dans les médias grand public. Le journaliste Julien Arsenault publie en effet aujourd’hui le premier de deux articles sur le sujet dans La Presse, dans le cadre d’un dossier intitulé «Un frein déloyal pour la concurrence».

Le stratagème Chauffeur inc. ne date pas d’hier. Notre premier article sur cette pratique remonte à une quinzaine d’années. L’Association du camionnage du Québec et l’Alliance canadienne du camionnage fustigent le stratagème fiscal et travaillent à l’enrayer depuis. La pression a considérablement monté au cours des derniers mois.

Le stratagème Chauffeur inc. consiste à inciter des chauffeurs salariés à s’incorporer comme s’ils étaient des entreprises fournissant des services à leur transporteur alors que, dans les faits, ils ne possèdent pas le camion qu’ils conduisent et ne prennent aucune décision d’affaires ni ne participent aux profits.

Julien Arsenault a fait un travail d’enquête journalistique, épluchant les offres d’emploi, sur Indeed et Kijiji par exemple, et jouant le rôle d’un chauffeur à la recherche d’un gagne-pain.

Il rapporte sa conversation avec Isa lleri d’Ilco Transit, une entreprise de transport qui avait mis une offre d’emploi en ligne sur Kijiji il y a un peu plus d’une semaine. «On en a deux [chauffeurs] qui sont sur le payroll [la masse salariale] et tous les autres sont incorporés, c’est beaucoup plus simple pour nous », lui a-t-il expliqué.

Au cours d’un deuxième appel, il a nuancé ses propos. «Non, je n’avais pas dit que c’était plus simple, mais plutôt au choix du chauffeur. Nous, ça ne nous dérange pas. On ne donne aucune obligation à nos chauffeurs. C’est un peu comment le marché fonctionne. Si ça changeait et que tout était en payroll, on ne serait pas contre ça»

Interrogé par M. Arsenault à savoir pourquoi il engageait des chauffeurs incorporés, Julio Sabosan Sathiaseelan, de Cool ALTS Transport, a répondu : «C’est mon comptable qui m’a dit d’embaucher [de cette façon]. Je vais discuter avec mon comptable et je vais essayer d’en savoir un peu plus en détail, moi aussi. Mon comptable m’a dit d’embaucher comme ça, ça va être plus facile.»

Dans l’article de La Presse, Sunny Sanghera, chef des opérations de National Transport, affirme que «beaucoup de chauffeurs qui travaillent en ville sont incorporés» et que c’est eux qui demandent d’être rémunérés ainsi. «Ils travaillent deux mois ici, après ça, ils vont à une autre place, dit-il. Quand un chauffeur reste plus longtemps, on les fait changer pour les mettre sur le payroll.»

Pierre-Yves McSween a fait de Chauffeur inc. son sujet de chronique ce matin à l’émission de Paul Arcand, parlant d’une «industrie qui est en train de se pervertir» et d’un stratagème qui «nuit à la santé de l’écosystème».

«Quand tu es un travailleur autonome incorporé […] l’impression d’avoir des dollars tout de suite, un peu plus ou facilement, est largement compensée par tout ce que tu laisses sur la table», a-t-il avancé.