83 ans et toujours classe 1

Quand j’ai dit à Benoit Therrien, de Truck Stop Québec, que je cherchais le plus vieux camionneur au Québec pour en faire un portrait, il m’a répondu tout de go : Taximan. C’est le nom de «handle» de Réjean Pelletier.

Quelques conversations plus tard sur Messenger, un rendez-vous était fixé.

Une fois installé dans le salon de son appartement à Lachine, impossible de ne pas remarquer les dizaines de casquettes qui s’empilent sur des crochets dans le coin de la pièce. Sur chacune d’elle, une broderie qui raconte un événement ou une étape de la vie de Réjean Pelletier. Sur la plus récente, il est écrit : 83 ans, classe 1 encore.

M. Pelletier est donc toujours camionneur, après plus de 65 ans de carrière.

«Mais je choisis mes “jobs”, prend-il soin de préciser.

Il attendait justement l’appel de son ami Marcel Lacaille, pour qui il a travaillé il y a une cinquantaine d’années, au moment de notre rencontre. «Je vais aller conduire son 10-roues pour l’aider», m’informe M. Pelletier. «Je ne suis quasiment pas capable de lui dire non. Et pour moi ce n’est pas travailler, c’est m’amuser.»

Réjean Pelletier: une légende du camionnage au Québec. (Photo: Steve Bouchard)

«Je ne force pas pour aller travailler. Lui, je lui ai promis», poursuit-il. «Si je trouve de quoi c’est correct, si je n’en trouve pas, c’est correct aussi. Je ne m’en fais plus avec ça. J’ai ma classe 1 dans mes poches, je peux y aller n’importe quand.»

Sa classe 1, il l’a perdue pendant quelques semaines. Une histoire d’examen de la vue et d’opération pour des cataractes. Un deuxième examen le lui a rendue. Sinon, aucun problème de santé ne l’empêche de conduire un camion lourd. «Je prends des pilules de vieux comme n’importe qui, mais tout est contrôlé», assure M. Pelletier.

Camionneur sur huit décennies

Natif de Lacolle, Réjean Pelletier a conduit une panoplie de camions et transporté une multitude de marchandises.

«J’ai commencé à 17 ans, en 1956, en charriant du bois ouvré avec un camion à trois essieux rafistolé. Un GMC 1953 à quatre cylindres», se rappelle-t-il. «On charriait au Lac-Saint-Jean, pas de bed, à deux dans le même truck. L’hiver on faisait de la charrue.»

Dès sa première année de métier, il a été victime d’un grave accident, son camion frappé du côté conducteur par un autre camionneur en état d’ébriété. Il a été inconscient pendant une dizaine de minutes avant que son oncle ne le trouve et ne l’amène à l’hôpital.

Un jeune Réjean Pelletier, en 1957, posant à côté de son camion accidenté. (Photo: courtoisie)

«Quand j’ai recommencé, j’avais une jambe dans le plâtre. Mon boss m’avait dit : si tu n’y retournes pas tout de suite, tu vas peut-être être peureux un peu.»

Au cours des années, il a entre autres travaillé pour Bruce Transport, Farco Leasing, Beauce Express, Damaco Transport, Day & Ross et Lacaille Transit. À travers cela, il a démarré des petites affaires : son entreprise de taxi – d’où son nom de CB – de livraison de courrier, de transport scolaire. «Mais j’ai toujours conduit des camions. Je conduisais les fins de semaine, les quatre ou cinq mois qu’il me fallait pour lancer l’entreprise, et je revenais.»

Le camionnage, était-ce vraiment mieux avant? Oui, répond M. Pelletier, avançant que la différence se joue surtout du côté de la réglementation qui est beaucoup plus contraignante. Mais il précise n’avoir jamais été harcelé par les contrôleurs routiers. «Ils se disent peut-être que je suis vieux!», sourit-il.

C’était plus payant aussi. « Quand j’ai commencé, on avait 5,5 cents du mille, et deux cents du mille pas imposé.» Le salaire annuel moyen des ouvriers au Canada en 1956 tournait autour de 3 500$. Faites le calcul.

Prêt pour les Maritimes

Quand on lui pose la question, sans hésitation, Réjean Pelletier répond que la compagnie pour laquelle il a préféré travailler, c’est R M Brault à l’Ange-Gardien. Il y a travaillé une douzaine d’années dans les années 2000, effectuant principalement des voyages à destination de la Californie.

«Il (le patron) était franc, il donnait toujours l’heure juste et ne faisait pas faire ce que lui n’aurait pas fait. On faisait du beau transport, des meubles à l’aller des fruits et légumes au retour», indique-t-il. «J’avais un camion neuf tous les 18 mois. Une remorque neuve environ tous les trois ans. Je ne suis pas difficile sur le camion. Donne-moi un camion qui est propre et qui va bien, ça va faire mon bonheur. Mais je suis un peu sélectif sur les voyages. Je me dis qu’à l’âge que j’ai, je dois bien mériter un peu d’aller où j’aime.»

Et ce qu’il préfèrerait maintenant, c’est «faire des Maritimes».

Été 2022: quelques journées de travail avec le 10-roues d’un vieil ami, Maurice Lacaille. (Photo: courtoisie)

«J’ai été gâté dans les Maritimes. Le monde parle français, il y a des places pour stationner en masse. Je ne veux plus aller aux États, et probablement que les compagnies d’assurances ne voudraient pas me couvrir de toute manière», présume-t-il. «Je serais prêt à prendre une job deux ou trois jours par semaine. Me jumeler avec un chauffeur et qu’on fasse chacun trois jours.»

Aujourd’hui, Réjean Pelletier se dit heureux comme il ne l’a jamais été. Il a sa conjointe, ses trois filles, ses quatre petits-enfants et ses sept arrière-petits-enfants.

«J’ai des affaires pour m’amuser. Regarde, j’ai un X-Box One», me lance-t-il. Il a aussi un ordinateur «monté gamer» qu’il utilise pour ses réseaux sociaux et pour ses jeux de simulation de conduite de camion ou d’avion.

«J’aime ça conduire, je capote là-dessus», lance-t-il. 

Qu’est-ce que vous aimez tant?  «Une fois que tu as sauté le trottoir, tu es ton boss. Tu es avec toi-même.» 

Son conseil aux plus jeunes camionneurs : prendre le temps.

«Bien souvent, ils veulent être revenus avant de partir. À ce compte-là, aussi bien rester chez soi», conclut-t-il.

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.

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