Cannabis : la chaîne d’approvisionnement s’organise, la réglementation piétine à Québec

La consommation de cannabis à des fins récréatives sera légale au Canada à compter du 17 octobre prochain. La façon de rendre la substance accessible au consommateur variera d’une province à l’autre. Au Québec, ce sera la Société québécoise du cannabis (SQDC, sous l’autorité de la Société des alcools-SAQ) qui en fera la vente au détail.

Il est estimé que la SQDC commandera 62 000 kg de cannabis dès sa première année d’activité, le tiers environ provenant du Québec via le producteur Hexo Corp. (aussi connu sous le nom d’Hydropothecary) de Gatineau.

Le cannabis étant appelé à devenir à très court terme un produit de consommation légal mais réglementé au même titre que le tabac ou l’alcool, le cadre réglementaire de la chaîne d’approvisionnement et de transport est en train de prendre forme. Pour les entreprises de camionnage désireuses de s’emparer d’une part de ce marché destiné à croître si les gouvernements arrivent bel et bien à s’approprier une partie du volume jusqu’à présent contrôlé par le crime organisé, des précautions et des calculs s’imposent.

Fourgons réguliers

En ce qui a trait au matériel roulant, des fourgons réguliers devraient suffire, indique Marilou Blackburn, des affaires publiques de la SAQ, société d’État qui chapeaute la SQDC. « Les produits seront scellés, alors ils ne requerront pas de contrôle des conditions de transport », dit-elle. Pas besoin d’unité frigorifique, ni de système de contrôle de l’humidité dans les camions, confirment Heather MacGregor et Sonia Isabel respectivement directrice des communications d’Aurora Cannabis et vice-présidente des ventes d’Hexo.

Le fait que les contenants soient scellés empêchera par ailleurs la contamination d’autres produits qui pourraient se trouver dans la même remorque. « Le médical a fait ses preuves », précise Sonia Isabel au sujet de l’étanchéité des contenants utilisés pour le transport de la marijuana.

Notons que la vice-présidente des ventes d’Hexo a occupé différents postes de direction à la Société des alcools du Québec pendant une vingtaine d’années avant de faire le saut chez le principal fournisseur de cannabis de son ex-employeur en mars dernier.

Quelle compagnie de camionnage héritera du contrat consistant à faire la navette entre le producteur Hexo de Gatineau et les comptoirs de la SQDC? Mme Isabel se fait discrète à ce sujet, se limitant à dire que tout indique qu’un seul transporteur aura l’exclusivité, bien que les dernières signatures n’aient pas encore été apposées en date du 23 août. « Mais probablement que ce sera fait la semaine prochaine », déclare-t-elle en entrevue à Transport Routier. Au sujet de l’entreprise de camionnage qui aurait décroché la mise à moins d’un changement de dernière minute, la porte-parole d’Hexo se limite à dire : « C’est un transporteur qui a énormément d’expérience, et ce depuis très longtemps à travers le Canada. »

Rappelons cependant qu’Hexo n’est que l’un des six fournisseurs de la SQDC qui, elle-même, n’est que l’une des dix autorités provinciales sur le point de faire la vente légale de cannabis au Canada. Bref, en matière de transport de marijuana, les jeux sont loin d’être faits.

L’utilisation de sceaux de sécurité sur les remorques pourrait faire partie des mesures de sécurité exigées par les producteurs expéditeurs ou les clients destinataires, mais cela ne devrait pas être une obligation légale. Pour le ou les transporteurs faisant affaire avec Hexo cependant, ce sera exigé, explique Sonia Isabel. « L’idée, c’est de protéger tout le monde avec ce système », dit-elle.

Certains transporteurs pourraient décider d’utiliser des sceaux même si le client ne les exige pas, question d’ajouter une couche supplémentaire de protection contre le vol à l’interne.

Le vol est en effet une considération à ne pas négliger dans le calcul des coûts de transport puisque le degré d’attractivité de la marchandise transportée pour les malfaiteurs a généralement une incidence sur les frais d’assurance. Pensez à l’alcool ou aux produits électroniques, à titre d’exemple.

L’utilisation de sceaux de sécurité sur les remorques pourrait faire partie des mesures de sécurité exigées.

Toujours au chapitre des coûts à évaluer avant de soumissionner, étudiez les différents itinéraires proposés par d’éventuels expéditeurs puisque, si vous devez faire de l’entreposage en cours de route ou lors de consolidation de cargaisons, les frais liés aux sévères règles de sécurité imposées par le fédéral (voir plus bas) devraient aussi apparaître dans le calcul de vos frais d’exploitation.

La responsabilité au producteur 

Ce sont les producteurs de marijuana récréative qui seront responsables de la bonne marche des opérations de transport et d’entreposage de la substance, précise Eric Morrissette, chef des relations avec les médias pour Santé Canada. « Les titulaires de licence fédéraux sont responsables de la sécurité, de la sûreté et du maintien de la qualité du cannabis lors du transport, qu’ils le transportent eux-mêmes ou sous-traitent le transport », peut-on lire dans un courriel qui nous a été transmis par M. Morrissette.

Il relève aussi des producteurs que la marchandise arrive sur les étalages en bon état. Ce sont eux qui doivent s’assurer « que la qualité du produit ne soit pas affectée par le transport », ajoute le porte-parole de Santé Canada.

Ce contrôle de la qualité passe notamment par l’entreposage, pour lequel les règlements fédéraux sont très stricts. « Le lieu doit être conçu de façon à empêcher tout accès non autorisé », peut-on lire dans la réglementation fédérale au sujet des entrepôts. Les abords des aires d’entreposage devront aussi être surveillés de près : « Le périmètre du lieu doit faire l’objet, en tout temps, d’une surveillance à l’aide d’appareils d’enregistrement visuel, de façon à détecter tout accès ou tentative d’accès non autorisé », ajoute Ottawa.

Les transporteurs n’auront cependant pas à se soucier outre-mesure de l’adresse de destination. Parce que même si les règles de commercialisation du cannabis ne seront pas les mêmes partout au pays, le transport interprovincial de marijuana, lui, sera permis. « En vertu de la Loi sur le Cannabis, il n’existerait aucun obstacle inhérent au transport de cannabis entre les provinces et les territoires. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se sont engagés à collaborer étroitement afin de déterminer de quelle façon l’Accord de libre-échange canadien serait appliqué au cannabis qui n’est pas utilisé à des fins médicales », écrit Eric Morrissette.

Signaux contradictoires à Québec

Ça a été le cas depuis le début de la saga de la légalisation du cannabis : Ottawa a pris beaucoup de monde par surprise – les provinces au premier chef – en faisant plus ou moins cavalier seul dans ce dossier.

Cela se reflète dans les dispositions relatives au transport du cannabis édictées par Québec, qui peuvent sembler contradictoires à certains égards. Dans un premier temps, Québec tient un discours semblable à celui d’Ottawa, à l’effet que seuls la SQDC, une personne dûment autorisée par la SQDC, un producteur de cannabis ou toute autre personne déterminée par règlement du gouvernement « peuvent faire le transport, incluant la livraison, et l’entreposage du cannabis à des fins commerciales », dit le projet de loi 157 du Québec, piloté par la ministre déléguée à la Réadaptation Lucie Charlebois et cité par la porte-parole de la SAQ Marilou Blackburn en réponse à nos questions.

Là où ça se complique pour une entreprise de camionnage désireuse de décrocher un contrat de transport de cannabis en toute légalité, c’est que des amendes sont prévues à des règlements provinciaux… qui n’existent pas encore.

« Ces règlements sont actuellement en élaboration »

  • Bianca Boutin, attachée de presse de la ministre Lucie Charlebois

Ainsi, on peut lire dans un passage du projet de loi 157 de Québec transmis par Marilou Blackburn que : « Le gouvernement peut, par règlement, prévoir les normes et conditions applicables au transport et à l’entreposage du cannabis. Il peut aussi déterminer, parmi les dispositions d’un tel règlement, celles dont la violation constitue une infraction et indiquer, pour chaque infraction, les amendes dont est passible le contrevenant, lesquelles ne peuvent excéder 100 000 $. »

Savoir précisément ce qui constitue une infraction ou pas aux yeux du gouvernement du Québec demeure plus aléatoire. Au cabinet de la ministre Charlebois, l’attachée de presse Bianca Boutin nous dit dans un premier temps : « Après vérifications, le gouvernement a le pouvoir d’adopter par règlement les normes applicables aux personnes responsables du transport. » Mme Boutin ajoute cependant : « Comme ces règlements sont actuellement en élaboration, nous ne pouvons leur en dire davantage pour l’instant. »

Cette réponse est datée du 17 août dernier, soit deux mois jour pour jour avant la date prévue de la légalisation du cannabis à des fins récréatives. Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement sortant à Québec sollicite un nouveau mandat et il est encore impossible de savoir quel parti sera au pouvoir au lendemain du vote du 1er octobre. Cela laisse bien peu de temps pour ficeler les derniers détails, peu importe qui occupera le fauteuil de premier ministre.

Par Eric Bérard

 

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.

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