Déménager les biens, pas le virus

Selon la Régie du logement du Québec, il est estimé que, chaque année, entre 200 000 et 250 000 ménages changent d’adresse. Et ces jours-ci, ces gens sont nerveux avec la pandémie de COVID-19 dont ils craignent qu’elle chamboule les plans de leur déménagement, un événement déjà stressant en soi.

Chez les entreprises de déménagement pour qui c’est le début de la haute saison dont le point culminant est le traditionnel 1er juillet, ce stress se traduit par un volume d’appels beaucoup plus élevé qu’en temps normal. « J’ai eu énormément d’appels de gens qui se demandaient s’ils allaient pouvoir déménager », témoigne Frédérik Girard, directeur de la succursale de Montréal chez Déménagement La Capitale.

Au Clan Panneton, le propriétaire Pierre-Olivier Cyr nous explique que plusieurs de ces appels étaient logés afin de reporter un déménagement. Pour le mois d’avril seulement, l’entreprise s’est retrouvée avec 400 déménagements de moins qu’à l’habitude en raison de l’incertitude qui a régné dans les jours suivant la « mise sur pause » du Québec.

M. Cyr et son équipe ont rapidement pris d’assaut les réseaux sociaux et modifié leurs messages publicitaires télévisés afin de rassurer la clientèle, par exemple sur les normes d’hygiène et les précautions supplémentaires mises de l’avant au Clan Panneton.

La stratégie semble avoir fonctionné. « On a récupéré le retard qu’on avait sur les réservations », dit M. Cyr.

Pierre-Olivier Cyr multiplie les interventions sur les réseaux sociaux.

Des plans de déménagements commerciaux ont aussi dû être revus en raison de la pandémie. « C’est sûr que ça a eu un impact. Tout ce qui était ma division commerciale a dû repousser beaucoup de contrats », explique M. Girard.

Plusieurs des entreprises qui devaient déménager à une date précise à la fin mars ou en avril ont soudainement été forcées de fermer leurs portes. Personne n’était disponible pour accueillir les déménageurs, au point de départ ou au point d’arrivée. « Je ne peux pas aller déménager les bureaux sans savoir des accès, des gens sur place », souligne M. Girard.

De toute manière, dans plusieurs cas le déménagement commercial n’aurait pas pu avoir lieu puisque les travailleurs de la construction, à l’arrêt forcé eux aussi, n’avaient pas eu le temps de procéder aux réaménagements prévus des locaux où les entreprises voulaient s’installer.

Le gel temporaire des activités de construction a également eu des impacts dans le secteur résidentiel, alors que des dates de livraison des maisons ou condos n’ont pu être respectées. Là encore, cela a entraîné des reports de déménagements.

Approvisionnements

Heureusement, les camions de La Capitale et du Clan Panneton sont fin prêts pour l’action. Dans les deux cas, l’entretien des véhicules se fait à l’interne, alors l’accès à des baies de service n’a pas posé problème.

Les fournisseurs de pièces ont apparemment pu tenir le rythme et continuer à approvisionner les flottes des deux grands groupes de déménagement, quoique des délais un peu plus longs aient pu survenir à l’occasion, indique M. Girard.

L’entretien des camions s’est fait à l’interne et n’a pas été compromis.

Pour le proprio du Clan Panneton, le fait que la flotte de ses camions de classe 5 – la très grande majorité de sa soixantaine d’unités – s’harmonise graduellement vers une seule marque facilite cet aspect de la gestion mécanique. « On a souvent des pièces en réserve, donc on n’a pas eu de problème de ce côté. Et ça a très bien été avec nos fournisseurs », déclare M. Cyr.

Le tableau se complique lorsqu’il est question de protection personnelle. « C’est très difficile de trouver de l’équipement », dit le porte-parole de La Capitale. Son homologue du Clan Panneton partage le même souci : « Le problème en ce moment, c’est au niveau des paires de gants, des masques et du désinfectant. »

Le désinfectant, c’est bien sûr les bouteilles de gel hydroalcoolique de type « Purell » mises à la disposition des déménageurs mais aussi celui qui est pulvérisé dans les cabines et les fourgons des camions à la fin de chaque journée de travail, une politique commune aux deux spécialistes interviewés par Transport Routier.

Les gants jetables par dizaines de milliers et les masques de type chirurgicaux représentent également leur lot de défis d’approvisionnement mais aussi des coûts qui n’avaient pas été budgétés. « C’est une dépense dont je n’avais pas besoin cette année », observe M. Cyr, ajoutant qu’il devra absorber ces frais inattendus, les tarifs pouvant difficilement être augmentés. « La situation financière des gens est difficile et on ne veut pas abuser de ça », dit-il au sujet des revenus réduits provenant de l’assurance-emploi ou de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) dont disposent plusieurs clients.

Effets pervers de la PCU

Cette même PCU peut avoir des effets pervers dans le secteur du déménagement, déplore M. Cyr. Des concurrents sans scrupules auraient déplacé leur personnel vers la PCU pour ensuite employer ces mêmes personnes en les faisant travailler contre une prime « sous la table », créant une concurrence déloyale.

« On dit aux gens d’acheter local, mais je dis aussi d’acheter légal. Faites affaire avec des entreprises qui paient vraiment leurs employés, qui vous donnent des factures, qui paient l’impôt, les taxes et les DAS [charges sociales retenues à la source] parce que ce sont ces entreprises-là qui redonnent à la société », témoigne le patron du Clan Panneton.

La PCU risque aussi de compliquer l’accès à de la main-d’œuvre en période de pointe, selon M. Cyr. « Le 1er juillet, j’ai besoin de 300 employés. Est-ce que je vais être capable avec la PCU? », se demande-t-il. Parce que plusieurs travailleurs à temps partiel ont fait des calculs et lui répondent : « Pourquoi je prendrais 20 heures par semaine si je peux faire 500 $ à rester chez moi? »

Sur le terrain, il faut parfois revoir la manière de faire les choses et faire preuve d’empathie à l’égard d’une clientèle souvent désemparée. « Il y a beaucoup de clients qui posent beaucoup plus de questions, qui surveillent plus ce qui se passe, et c’est normal. Les gens ont un stress de voir des gens qui viennent chez eux et qu’ils ne connaissent pas », dit le porte-parole de La Capitale.

Des vérifications inhabituelles doivent aussi être menées à l’occasion, par exemple s’il s’agit d’un déménagement en centre pour personnes âgées. « Il faut s’assurer qu’on a le droit de le faire », dit M. Cyr, puisqu’il y a des interdits en certaines circonstances.

Respirer avec un masque à 35 degrés Celsius

Et plus le beau temps se fera sentir, plus il faudra composer avec les gens qui « s’auto-déménagent » et autres déménageurs amateurs autoproclamés qui touchent les boutons d’ascenseurs ou les rampes d’escalier sans respecter les mêmes règles sanitaires que les professionnels.

La température à la hausse risque aussi d’incommoder encore davantage les déménageurs qui portent le masque. « Quand tu forces, tu as besoin de respirer et tu veux de l’air frais », témoigne M. Cyr, qui craint les coups de chaleur lors d’épisodes de canicule et dit consulter la CNESST à ce sujet.

La distanciation sociale n’est pas non plus toujours possible dans un contexte de déménagement. Des employés qui soulèvent un frigo avec des courroies ne peuvent pas être à deux mètres l’un de l’autre. Encore moins lorsqu’ils sont trois dans une même cabine. « Je ne peux pas installer des plexiglas dans mes camions pour séparer les trois gars », témoigne le propriétaire du Clan Panneton.

La Capitale vit le même genre de dilemme, témoigne M. Girard, expliquant qu’il a toutefois moyen de limiter les risques en gardant les mêmes personnes dans les équipes de déménageurs dans la mesure du possible et en s’assurant que les gants soient changés avant d’entrer dans le camion. D’autre part, chaque déménageur de La Capitale est évalué à son arrivée au travail et s’il présente le moindre symptôme de COVID-19, il est renvoyé à son domicile.

Et même si l’incertitude continue de planer, il reste place à optimisme, croit M. Girard. « Au fur et à mesure que le gouvernement annonce des réouvertures, on a des appels qui entrent pour des choses au mois de mai », dit-il.

Au Clan Panneton, M. Cyr voit les choses avec un mélange de pragmatisme et de philosophie. « En situation de crise, il faut savoir gérer au plus court terme possible. On ne se projette pas encore dans l’avenir », dit-il.

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