Du rêve à la réalité : Un camionneur du Québec conçoit un camion forestier hybride qui consomme jusqu’à 15% moins

Larry Bolduc est camionneur depuis plus de 25 ans et est aujourd’hui à la tête de l’entreprise familiale Transport Raoul Bolduc, à Girardville dans la région du Saguenay/Lac-St-Jean.

Il a également lancé une autre entreprise en parallèle, appelée Électrocamion Inc. Le plan d’affaires est de convertir des camions forestiers ou miniers en véhicules hybrides diesel-électriques, que ces camions soient neufs ou existants.

Le Kenworth C500 hybride de Larry Bolduc transporte des charges oscillant entre 150 et 160 tonnes. (Photo : Électrocamion)

Comme bien des inventeurs avant lui, M. Bolduc a d’abord testé ses concepts mécaniques sur lui-même, ou sur son camion devrions-nous plutôt dire.

C’est ainsi que son massif Kenworth C500 qu’il utilise chaque jour pour le transport d’arbres fraîchement abattus vers des usines de transformation est devenu son laboratoire d’hybridation.

Charges de 150 tonnes et plus

En entrevue à Transport Routier, il explique qu’une motorisation entièrement électrique n’était pas envisageable pour le transport très lourd hors-route. Et quand on dit très lourd, on parle de poids total en charge oscillant entre 150 et 160 tonnes. « Il faudrait que la remorque soit pleine de batteries », dit-il pour illustrer l’inviabilité commerciale d’un concept où un camion ne peut transporter aucune charge utile.

Par contre, s’est-il dit, l’appui d’une motorisation électrique à un moteur diesel pourrait faire consommer moins de carburant à ce dernier lorsqu’une poussée de puissance est requise, lors de l’ascension d’une pente par exemple. Et ce qui est bien avec une pente que l’on grimpe, c’est qu’elle redescend forcément de l’autre côté, permettant la recharge des batteries par régénération de décélération.

Cette régénération procure par ailleurs une force de freinage estimée à 240 chevaux, qui permet de se défaire du frein électromagnétique, de réduire l’usure des freins de service ainsi que du frein moteur. « On ne l’utilise presque pas, à part quand on a une pente vraiment à pic », dit-il au sujet du frein moteur au typique bruit de « ra-ta-ta-ta ».

Savoir s’entourer de gens compétents

Ses premières discussions avec le fabricant de moteurs électriques TM4 (alors dans le giron d’Hydro-Québec) ont eu lieu dès 2009, alors qu’il envisageait l’installation de moteurs-roues sur son camion.

Ce n’est cependant que six ans plus tard que le rêve a commencé à se cristalliser, lorsque les gens de TM4 (depuis devenue Dana-TM4) l’ont contacté de nouveau. « Ça a commencé à se concrétiser quand les gens de TM4 ont fabriqué un moteur et ont dit “On aurait peut-être quelque chose pour toi”. Ça, ça a commencé vraiment en 2015 », dit-il.

« Je suis opérateur de camions au départ, mais j’ai toujours été “patenteux” », explique Larry Bolduc. (Photo : Électrocamion)

L’autodidacte qui se qualifie lui-même de « patenteux » a su s’entourer de gens qui pourraient l’appuyer dans son projet d’hybrider un camion de cette taille. Des gens comme Kenworth Québec vers qui il se tourne lorsqu’il a des questions techniques très pointues, les chercheurs Jan Michaelsen et Dave Waknin de FPInnovations, LTS Marine pour sa première génération de batteries et l’ordinateur de bord à écran tactile qui gère l’interaction des moteurs diesel et électrique ou encore l’atelier St-Félicien Diesel pour des questions pratico-pratiques de mécanique.

« Au tout début, c’est eux qui ont fait les plans, qui ont percé le différentiel. Ils m’ont aidé beaucoup pour faire le prototype », dit M. Bolduc au sujet des gens de St-Félicien Diesel.

Le moteur électrique transmet sa puissance par son propre arbre d’entraînement. (Photo : Électrocamion)

S’il évoque le perçage des différentiels, c’est qu’il a fallu arrimer les deux arbres moteurs qui fonctionnent ensemble : celui du moteur diesel – un Cummins X15 de 605 chevaux et 2050 lb-pi de couple – et celui couplé au moteur électrique. Celui-ci est un modèle Sumo HD provenant de chez Dana-TM4, qui développe une puissance de 250 kilowatts, soit l’équivalent d’environ 350 chevaux.

« Le premier différentiel est percé pour aller entraîner le deuxième et le deuxième est percé pour aller se connecter au moteur électrique. C’est ça qui en instance de brevet », dit-il au sujet de cette configuration où le moteur électrique est situé à l’extrémité arrière du châssis du camion.

Le moteur Sumo HD de 250 kW (environ 350 chevaux) de Dana-TM4 est situé à l’extrémité arrière du châssis. (Photo : Électrocamion)

Les deux batteries lithium-ion de 21 kW/h chacune sont situées sur le dessus du châssis avec leur système de régulation de température, tout juste derrière le pare-cabine.

De nouvelles batteries plus puissantes et plus légères viendront bientôt les remplacer. « En ce moment on n’est pas capables d’aller chercher toute la puissance du moteur électrique. Avec les nouvelles batteries on va être capables d’utiliser les 250 kW », dit M. Bolduc, précisant qu’il est en discussion avec l’entreprise montréalaise EV Technologies pour des batteries qui, en plus d’être puissantes, seront chacune plus légères d’au moins 100 kg.

Les batteries prennent place sur le châssis du camion, tout juste derrière le pare-cabine. (Photo : Électrocamion)

C’est ce type de batterie qu’il entend utiliser sur le C500 tout neuf dont il doit prendre livraison en février prochain et qu’il entend convertir lui aussi, riche de l’expérience acquise avec son prototype pour en faire un véritable camion hybride de démonstration auprès de clients potentiels.

« On va corriger les petites lacunes qu’on a eues avec le prototype et ce sera réellement un camion qu’on va pouvoir faire essayer », dit-il au sujet du premier camion « de production » d’Électrocamion Inc.

12% à 15% d’économie de carburant

Selon l’expérience vécue avec le prototype actuel, l’apport du moteur électrique pour réduire l’effort du gros Cummins diesel, ainsi que sa consommation de carburant est tangible. Invité à chiffrer ces économies, il répond : « Ça dépend des secteurs. On joue de 12% à 15%. Plus les secteurs sont montagneux, plus l’économie de la régénération est là. »

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il envisage aussi de convertir à son système hybride des camions de classe 8 autoroutiers de taille plus conventionnelle et qui empruntent des routes suffisamment vallonnées pour que l’hybride donne sa pleine mesure par la régénération à la décélération.

« Dans le futur, l’idée c’est de fabriquer des kits de retrofit qu’on va pouvoir vendre à des concessionnaires qui vont pouvoir les installer », dit-il au sujet de son plan d’affaires. Il n’est donc pas question pour l’instant de construire une usine. « Le client va venir le faire installer chez nous ou chez un concessionnaire attitré », précise M. Bolduc, qui estime à 300 000 $ les sommes qu’il a investies jusqu’à maintenant dans Électrocamion.

Il est encore trop tôt pour établir un prix de vente et d’installation pour la solution hybride Électrocamion mais, chose certaine, le « bleuet inventeur » a l’intention de faire en sorte qu’elle soit admissible au programme de rabais gouvernementaux Écocamionnage du ministère des Transports du Québec.

L’Électrocamion en a fait du chemin, depuis les croquis préliminaires. (Photo : Électrocamion)

D’ici là, le président d’Électrocamion et ses garçons Gabriel, Alex et Mathieu qui sont également actionnaires, continuent de récolter des appuis de grandes entreprises désireuses de réduire leur empreinte carbone – Arianne Phosphate pour le projet minier du Lac à Paul et Produits forestiers Résolu par exemple – et de peaufiner le site Web electrocamion.com, qui présente du contenu en français et en anglais.

Larry Bolduc garde malgré tout les deux pieds sur terre et, une fois l’entrevue terminée, s’apprête à reprendre le volant de son premier C500 hybride, qui travaille 24 heures sur 24, la conduite se faisant en alternance entre lui et son collègue chauffeur Serge Boivin.

Les heures de travail sont longues en forêt mais M. Bolduc a tout de même le plaisir d’y conduire son « bébé », qui donnera peut-être lui-même naissance à une entreprise florissante. « On sent la force, mais ça se fait en douceur, ça ne donne pas de coup », dit-il au sujet de l’agrément de conduite de l’Électrocamion.

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