Gérer le risque des matières dangereuses en transport routier au Québec

En novembre dernier, l’Association du camionnage du Québec (ACQ) et Propulsion Québec (PQ) ont présenté, coup sur coup, des séances d’information qui abordent, chacun de leur côté, différents aspects sécuritaires du transport de matières dangereuses (TMD) au Québec et au Canada.

Alors que PQ a ciblé l’entreposage sécuritaire des batteries au lithium-ion dans un webinaire technique, l’ACQ s’est plutôt concentrée sur les risques que représentent les matières dangereuses sur les routes du Québec.

Photo: Istock
Plaques pour identifier les matières dangereuses transportées. Photo: Istock.

Le portrait statistique

Ce qui étonne, de prime abord, est le nombre d’accidents impliquant les camions-citernes. Raynald Boies, ingénieur à la Direction générale de la sécurité et du camionnage au ministère des Transports et de la mobilité durable, est donc venu dérouler un portrait statistique complet pour les années 2010 et 2021 au colloque de l’ACQ.

Son constat: « 2989 accidents de camions-citernes ont été enregistrés durant la période étudiée. Une moyenne de 255 par année dont une vaste majorité en milieu rural et autour des places d’affaires/commerciales ».

Les changements de voies représentent 40% des collisions survenues en milieu rural et 42% dans les zones affaires/commerciales. Il faut aussi inclure, dans ces statistiques, les collisions de véhicules qui roulent dans la même direction. Autrement dit, les véhicules qui emboutissent d’autres véhicules par derrière.

À propos des accidents impliquant un seul camion-citerne, c’est-à-dire les sorties de route en solo, M. Boies précise « qu’ils se produisent très majoritairement en milieu rural (285 pour la période étudiée) contre 33 dans les zones d’affaires/commerciales ».

Le facteur hiver est aussi une variable importante qu’il faut prendre en considération dans le bilan du TMD. Pour les mois de novembre à février inclusivement, le ratio atteint 42% en zones d’affaires/commerciales (88 accidents sur 209 pour les douze mois de l’année) et 46% en milieu rural (229 collisions sur les 502). En zones affaires/commerciales, il y a eu 196 accidents l’hiver sur 447 sur les routes dont la vitesse est limitée à 50km/h.

Quant aux dommages corporels, Raynald Boies les divise en deux catégories de camions-citernes: les porteurs et les semi-remorques. Avec 12 et 16 morts respectivement entre 2010 et 2021, le TMD ajoute, à ce bilan, 22 et 42 blessures graves ainsi que 194 et 256 blessés légers.

Un logiciel de gestion des risques

Pour réduire au minimum les risques d’accidents, d’explosions, de blessures et d’intoxications, l’ACQ a aussi invité Nuvoola. Représentée par le gestionnaire de produits Kevin Poirier, cette entreprise a conçu un logiciel de reconnaissance des plaques du TMD.

« Entre octobre 2021 et février 2022, dit M. Poirier, nous avons participé au Programme de reconnaissance des plaques TMD pour Transports Canada ». Projet concluant, a confirmé M. Poirier à Transport routier après sa présentation, le logiciel promet d’atténuer les risques de non-conformité, voire de les éliminer.

Géré à l’aide de caméras disposées stratégiquement dans les cours et sur les routes, cet outil de gestion informatique, que Nuvoola nomme le Dispositif AI Edge, permet de recueillir, en temps réel, plusieurs paramètres informatifs, parmi lesquels la date et l’heure du segment capté par la caméra. Elle détecte et classifie, ensuite, les camions-citernes pour, enfin, faire une reconnaissance précise des plaques d’immatriculations, des plaques d’identification de la matière dangereuse transportée et du transporteur.

Le fonctionnement du logiciel de Nuvoola. Crédit pour l’image: Nuvoola.

À l’aide de son système central nommé LUKE, le logiciel de Nuvoola traite les métadonnées pertinentes et les classe pour les besoins du rapport destiné au transporteur.

Cet outil, finalement, doit permettre d’augmenter le taux de conformité des camions effectuant du TMD et à réduire, conséquemment, les infractions imposées par les autorités publiques. À ce propos, M. Poirier précise: « En 2018, plus de 5 500 mouvements de TMD ont été interceptés par Contrôle routier Québec. De ce nombre, 921 constats d’infractions ont été émis ».

17% des interventions routières, en définitive, qui ont mené à des amandes plus ou moins salées et qui pourraient, d’un seul coup, disparaître des écrans radar des transporteurs…

L’emballement des batteries au lithium-ion

Autre risque en transport routier, l’entreposage de batteries au lithium-ion (BLI). Réalité nouvelle pour les transporteurs, la gestion des batteries doit être prise très au sérieux. Un peu comme une bombe à retardement, la BLI peut engendrer des incendies et des explosions aussi violentes que soudaines.

André Bourassa, qui est pompier à la retraite et représentant pour HCT-World, mentionne que les trois classes de batteries – moins de 100WH, + de 100WH et – de 12 kg brut par accumulateur, + de 100WH et + de 12kg brut par accumulateur – peuvent causer beaucoup de dégâts.

Il donne l’exemple d’une BLI qui, défaillante, a causé une perte de quelque 30 millions de dollars suite à un feu. « Un emballement thermique, dit le chercheur au Centre RISC Hussein Wazneh, se produit lorsqu’une seule cellule atteint des températures élevées avant d’enflammer l’électrolyte (les oxydes de la cathode qui se décomposent pour libérer de l’oxygène) ».

« Les causes possibles d’un emballement thermique, poursuit M. Bourassa, vont du court-circuit à une surcharge électrique, une chaleur excessive à une recharge excessive, une impureté à une contamination en passant par un dommage physique ».

Ce à quoi ajoute M. Wazneh lors de sa formation dispensée par Propulsion Québec: « La surcharge électrique est la conséquence d’une tension trop élevée ou anormale dans une ou plusieurs piles. Un chargeur incompatible ou de mauvaise qualité, une erreur humaine ou une conception inadéquate de la batterie sont des déclencheurs possibles. L’exposition à des températures trop élevées et un taux de décharge aussi trop élevé sont des risques qui peuvent également provoquer un emballement thermique ».

Comment se protéger

Comment éviter un emballement thermique alors? Plusieurs options sécuritaires s’offrent aux transporteurs et garages qui vont stocker des batteries à l’intérieur de leurs murs.

Éviter, d’abord, de stocker les BLI près de sources de chaleur ou de froid. Durant le webinaire de PQ, on précise que les recommandations d’entreposage du manufacturier doivent être suivies à la lettre par l’usager. En retirant, notamment, toute batterie perforée ou endommagée du lieu d’entreposage. Les piles peuvent réagir très violemment si elles sont écrasées ou percées.

« Quant aux mesures d’extinction, précise M. Bourassa, des gicleurs, extincteurs et détecteurs de gaz thermique sont essentiels. Que ce soit des granulés d’extinction (oxyde de silicium), des aérosols, de l’eau (beaucoup plus d’eau que lors d’un incendie « normal ») ou l’additif d’extinction F-500 (encapsulation) – ce dernier étant le produit le plus efficace selon le RISC (Centre de recherche en sécurité civile) – il faut comprendre que l’incendie fera considérablement augmenter la température ambiante, laquelle pourra provoquer un emballement thermique en chaîne et un niveau de toxicité très dangereux pour la santé humaine ».

Le local utilisé pour l’entreposage devra conséquemment avoir une porte qui mène directement sur l’extérieur, des coupe-feux ayant une capacité de résistance de 60 minutes et un contrôleur d’oxygène pour ne pas que les employés suffoquent et perdent connaissance.

Il est aussi fortement recommandé de n’entreposer que des batteries possédant un certificat d’essai qui est conforme à la section 38.3 du manuel de l’ONU. Mettre en place, finalement, un système d’extraction de fumée et de chaleur avec avertisseur.

Dans tous les cas, un incendie de BLI débute souvent par une ou plusieurs explosions et de la fumée qui obligent le personnel présent à réagir instantanément. La préparation (une formation) en amont devient la seule chance de sauver des vies et les actifs d’un transporteur.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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