Le 26 janvier, camionneurs, on cause pour la cause : la vôtre!

Annuellement, un camionneur peut rouler jusqu’à 100 000km assis, généralement seul, dans sa cabine métallique. De jour, de nuit, de fin de semaine, dans le trafic, la neige, le vent et la pluie en affrontant des routes parfois dangereuses, il doit aussi gérer des retards multiples à la douane, l’entrepôt ou sur la route lors d’un bris mécanique. Le stress, la fatigue, la malnutrition, de longues heures derrière le volant et un sommeil réduit sont autant de facteurs qui peuvent entraîner des risques de collision, de dérapage, de blessures diverses et occasionnellement mortelles.

La routine du camionneur, quoi! 

Ces incidents et les risques qui y sont associés, que les spécialistes de la psychologie nomment les agents stresseurs, pourraient provoquer de graves séquelles psychologiques, physiques et émotionnelles au routier qui en est victime. Heureusement pour lui et son entourage, le « trucker » n’est plus isolé, seul au monde et démuni car il existe un organisme dédié à sa santé mentale : le SSPT (Syndrome de stress post-traumatique) chez les camionneurs

Chauffeur en état de stress provoqué par un trauma.

Autrement dit, il existe un lieu où il est possible de confier ses problèmes à un professionnel ou un pair aidant neutre et bienveillant qui l’aidera à neutraliser ses démons post-traumatiques.

Se faire surprendre dans le détour

C’est le sort qui attendait récemment un routier d’expérience au dossier de conduite sans tache. Deux accidents en six mois. Des erreurs d’inattention, essentiellement. Il est ressorti physiquement indemne de ses deux accidents. Le problème auquel il a été confronté après ces incidents est une perte de confiance en ses capacités, son jugement et ses réflexes.

L’homme, dans la jeune soixantaine, craignait aussi les reproches et le jugement négatif de son employeur, voire un potentiel congédiement. L’angoisse de ne plus être capable de gagner sa vie et d’être devenu trop « vieux » pour faire son métier ont envahi ses pensées et engendré un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

La qualité de son sommeil a diminué, les angoisses sont apparues. Irritable car convaincu que sa vie professionnelle était terminée, ce routier a même contaminé de son stress sa propre conjointe. Cette instabilité émotionnelle, qui l’a rapidement fait glisser sur une pente glissante, aurait pu le mener rapidement vers la dépression.

Trouver de l’aide

« C’est à ce moment-là, nous dit Yves de Repentigny, que le chauffeur a trouvé de l’aide. Après 18 téléphones infructueux, il a pu parler à quelqu’un. » Pour ce psychoéducateur oeuvrant su sein du Groupe JP Robin Psychoéducateurs, collaborateur au SSPT depuis au moins 2015 et formé pour prendre en charge les cas de dépression, de stress post-traumatique et de douleurs chroniques, « la réaction proactive du chauffeur a été la bonne. »

C’est ici que l’intervention rapide du SSPT chez les camionneurs a permis au routier de consulter un professionnel afin de retrouver graduellement sa confiance, son camion et sa paie. « Car, poursuit M. de Repentigny, il est très souvent plus efficace de soigner une personne si le délai entre le choc post-traumatique et la prise en charge est court. »

Il est cependant difficile, pour un camionneur, de se confier. C’est encore pire lorsqu’il doit le faire avec des inconnus. Le mythe du camionneur mentalement fort, courageux, infaillible, orgueilleux et capable de tout affronter sans sourciller est tenace en transport. L’industrie du camionnage, qui tarde à prendre le virage de l’empathie, demeure encore un milieu où la culture dominante est largement celle qui refoule ses faiblesses et limites, voire qui les méprise.

« On doit quand même concéder, nous disait en riant Jean-Philippe Côté, que le « super trucker » tend à s’ouvrir davantage qu’auparavant. » Il parle en connaissance de cause. Lui-même camionneur, pair aidant bénévole auprès des autres camionneurs qui font appel au SSPT chez les camionneurs, père monoparental et étudiant au baccalauréat en psychologie, il a été victime d’un accident pas plus tard qu’au début du mois de janvier.

« Mon orgueil en a pris un coup après m’être endormi au volant de mon camion dans l’État de New-York récemment. Moi qui a toujours eu l’ambition d’être un chauffeur fier de son bilan routier, je constate à l’usage que personne n’est à l’abri d’un accident. »

Contrairement aux camionneurs qu’il aide et soutient, Jean-Philippe Côté ne garde objectivement aucune séquelle de ce traumatisme. Il faut quand même dire que ce chauffeur travaille dans un environnement enviable. Son employeur, Golden International, a tout mis en oeuvre pour qu’il reçoive les soins adéquats et qu’il se sente bien lors de sa courte convalescence aux États-Unis. 

« Ma boss est comme jadis l’ancien coach du Canadien de Montréal, Jacques Demers : elle aime prendre soin de ses « p’tits gars, précisait, toujours en riant, le sympathique camionneur. Dès qu’elle a eu vent de l’accident, elle a fait le nécessaire pour que je ne manque de rien.»

« On constate que 80% de la réhabilitation transite par une collaboration active de l’employeur, constate le débonnaire M. De Repentigny, en ajoutant que cette attitude positive aide à réduire le stress, les angoisses et les tensions provoquées par un choc post-traumatique du chauffeur.

Parce que les causes d’un syndrome de stress post-traumatique sont nombreuses et variées en intensité, l’empathie du patron ajoute aux probabilités d’une guérison pour la victime du SSPT. Du suicide commis devant son camion à l’accident de la route avec blessés ou mortalités, la réaction du chauffeur peut être imprévisible en intensité suite à un événement traumatisant.

C’est le chauffeur qui, en premier, doit demander de l’aide 

La dimension anxiogène (anxiété, peur, fragilité émotionnelle), qui se manifeste par ce que M. De Repentigny nomme l’hypervigilance – à savoir une grande vulnérabilité, prudence obsessionnelle, paralysante et source d’anxiété permanente, hypersensibilité à l’environnement et irritabilité omniprésente – peut et doit être traitée le plus rapidement possible après l’événement.

Pourquoi ?

Il est plus facile pour le routier de neutraliser un syndrome récent que profondément enfoui dans sa mémoire depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Il devient aussi plus hasardeux de prouver, un an ou deux plus tard, la validité des symptômes si rien n’a été fait dans les premières semaines.

Or, comment fait-on pour identifier les symptômes d’une personne souffrant d’un SSPT ? 

« Il faut être attentif aux signes extérieurs, précise M. de Repentigny, et ne pas refouler ses émotions sinon ça peut affecter la santé mentale et physique du camionneur à long terme. Et plus tard, le chauffeur risque d’être seul pour gérer son trauma. » Ces signes, nombreux, peuvent apparaître séparément ou en grappe, rapidement ou graduellement et affecter la victime avec une intensité variable :

  • Honte d’avoir été impliqué, volontairement ou non, dans un accident ;
  • Difficultés à se concentrer ;
  • Dégoût de soi ; 
  • Réactions dépressives ;
  • Culpabilité ; 
  • Perte de sommeil ; 
  • Difficulté à dormir ; 
  • Efforts pour enfouir ou refouler tout se qui rappelle le traumatisme
  • Irritabilité et sursauts dans son humeur ; 
  • Tensions physiques et émotionnelles ; 
  • Chercher, dans l’alcool ou la drogue, une façon d’apaiser ses souffrances.

Le routier et son entourage peuvent, à degrés divers, identifier les symptômes et leur gravité.

C’est ce que M. de Repentigny suggère aussi au chauffeur :  « faire son propre « check up », sa ronde de sécurité intérieure afin de déceler si l’agent stresseur, l’événement, n’a pas laissé de trace en lui. » De la même façon qu’il fait sa ronde de sécurité afin d’identifier les défaillances possibles de son camion et de son chargement.

« Mon rôle de pair aidant au sein du SSPT chez les camionneurs consiste à écouter les « truckers » aux prises avec des tensions internes. En discutant avec eux, je peux les apaiser ou les référer, au besoin, au psychoéducateur mandaté par le SSPT. Autrement dit, je l’écoute s’il veut « brûler du fuel »(parler), sortir de son isolement mental afin de : 1- ventiler ses souffrances ; 2- trouver de l’aide, au besoin. »

Se cogner le nez sur la porte de… l’indifférence

Du « fuel, » Dominic Boisvert en avait beaucoup à brûler lorsqu’en 2010, un automobiliste est mort dans ses bras. Pour ce routier aguerri et secouriste d’un jour, le trauma est survenu alors qu’il était en vacances. Pendant les deux mois qui ont suivi, il a étiré l’élastique de la résistance et du déni. Pertes de concentration, flashback, problèmes de sommeil, culpabilité, irritabilité et signes de dépression ont été enfouis au fond de sa conscience.

Jusqu’au jour…

Où l’élastique a pété. En arrêt de travail pendant sept mois, il a en vain tenté de trouver de l’aide. « Mon employeur de l’époque, disait Dominic lors d’une conversation téléphonique avec Transport routier, a été complètement indifférent à mes souffrances. Il ne m’a ni encouragé ni dirigé vers quelqu’un qui pourrait m’aider. Il m’a simplement dit de l’avertir lorsque je serais prêt à reprendre le travail. »

Patrick Forgues et Kareen Lapointe, fondateurs de SSPT chez les camionneurs

Laissé à lui-même, Dominic est retourné derrière le volant et en 2016, il a fait une de ses deux rechutes. « J’étais, à ce moment-là, chauffeur d’un autobus scolaire. C’est en passant sur les lieux de l’accident, là où l’automobiliste était mort dans mes bras, que mon SSPT est revenu soudainement. » Il y avait eu un accident à peu près au même endroit où il avait subi son trauma.

« Entre 2010 et 2016, j’ai accumulé de la fatigue à cause des symptômes. J’ai flanché. Je n’étais jamais bien dans ma peau, jamais serein, très souvent et facilement irritable. La santé mentale, dans l’industrie du transport, est un sujet tabou et encore très mal vu, alors toutes mes tentatives pour trouver de l’aide sont restées sans réponses. Il faut aussi savoir que plusieurs compagnies de camionnage n’offrent pas d’assurances à leurs camionneurs pour les traumas professionnels. Consulter des psychologues et psychoéducateurs coûte cher aux entreprises. Ce n’est pas tous les chauffeurs qui ont les moyens de s’en payer. »

C’est en 2020 qu’il a enfin trouvé de l’aide auprès du SSPT chez les camionneurs. Après une deuxième rechute qui l’a laissé sept mois en arrêt de travail, Dominic a rencontré le psychoéducateur mandaté par le SSPT, Yves de Repentigny.

« Depuis ma thérapie de 2020-2021, mes symptômes ont disparu. Je dors bien, mes flashbacks ont disparu, je suis beaucoup moins irritable et ma concentration est bonne. On a réussi à neutraliser mes angoisses. Je suis également devenu bénévole auprès du SSPT chez les camionneurs. Je fais la recherche pour trouver les camionneurs victimes d’un accident, et je peux parler à Kareen Lapointe et Patrick Forgues – les fondateurs de SSPT chez les camionneurs suite à un trauma vécu par Patrick – quand j’en ressens le besoin, nous disait M. Boisvert en attendant de faire sa livraison.

Son conseil pour celles et ceux qui refusent de se faire aider ? « N’attendez pas qu’il soit trop tard. Il n’y a aucune honte à demander de l’aide car, au final, ça peut ultimement vous mener à la dépression ou au suicide si vous ne le faites pas. » Cette tension permanente et refoulée peut aussi amener son lot de maladies, notamment le cancer.

Car contrairement aux policiers, ambulanciers et pompiers qui sont formés aux risques associés à leur métier, qui ont des ressources à l’interne pour les aider en cas de traumatisme, les routiers affrontent souvent seuls les risques aléatoires auxquels ils sont soumis sur les routes et autour des quais de chargement.

Sauf…

Qu’en acceptant le soutien du SSPT chez les camionneurs, le routier reconnait son trauma et souhaite qu’on l’accompagne dans toutes les étapes de sa réhabilitation. Et dans certains cas, l’intervenant en psychoéducation peut même, si cela s’avère nécessaire, prendre place dans le camion afin d’apaiser le camionneur lorsqu’il reprend le volant.

Alors, qui veut causer pour la cause des camionneurs le 26 janvier prochain ?

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

Donnez votre avis

Vos données ne seront ni publiées, ni partagées.

*