Le Plan métropolitain de développement économique 2022-2031: de bonnes intentions, mais…

Dévoilé fin novembre, le Plan métropolitain de développement économique de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) fait l’inventaire de la réalité économique et des orientations à prendre dans les dix prochaines années pour cette région de 4,1 millions de citoyens. Son objectif avoué est de rendre l’économie de cette région plus productive, inclusive et verte.

Photo: Istock
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Quatre axes stratégiques ont été définis par les analystes afin d’atteindre ces objectifs, parmi lesquels deux s’intéressent, en partie, à l’industrie du transport par camion. L’axe un, d’abord, veut Réussir la transition énergétique de l’économie métropolitaine. L’axe deux semble, du moins à première vue, s’attaquer aux véritables problèmes de notre industrie avec le titre Organiser le territoire économique de manière intelligente et écoresponsable.

Je me dis alors: enfin, on veut vraiment et prioritairement s’attaquer aux problèmes de fluidité des transports de la métropole du Québec. Que ce soit les pertes en productivité, la pollution atmosphérique et le gaspillage éhonté de ressources fossiles non renouvelables, ils vont réduire les congestions dans le Montréal métropolitain (MM) qui coûtent, bon an mal an, autour de 2 milliards de dollars aux usagers de la route.

Notamment aux camionneurs et aux transporteurs.

Le document nous indique d’abord ce qu’on sait depuis longtemps, « que le transport par camion est l’industrie la plus polluante avec 3 MT d’éq CO2 générés annuellement sur le territoire de la CMM ». Pour réduire cette « tache » bien involontaire au dossier de l’industrie, les analystes de la CMM comptent notamment sur les trois solutions suivantes: outiller les entreprises afin de diminuer la congestion (télétravail, favoriser le transport collectif, modulation des heures de travail), intégrer plus rapidement de nouvelles technologies propres aux flottes de camions ainsi que la modulation des flux logistiques pour réduire les GES.

Attardons-nous à ce dernier élément si vous le voulez bien.

Les voyages à vide

Parmi les solutions avancées, les analystes font deux recommandations spécifiques: proposer aux transporteurs de réduire les voyages à vide et faire rouler leurs camions en dehors des heures de pointe. Commençons par la première proposition.

Évidemment, les transporteurs font exprès pour ramener leurs camions sans générer des revenus. Question de perdre de précieux dollars, polluer pour rien et user leurs camions inutilement. Soyons sérieux ici: aucun transporteur ne veut ramener un camion vide, payer un chauffeur et le carburant sans pouvoir rentabiliser ses opérations. C’est totalement absurde. À moins, bien sûr, que le client soit prêt à assumer les coûts de retour afin de recevoir sa cargaison le plus rapidement possible.

Ça c’est la formule du « juste-à-temps », un concept logistique imposé aux transporteurs afin que les clients n’aient pas à garder un inventaire trop important chez eux.

La pensée magique

Ce que les auteurs du rapport nomment la logistique inverse, c’est-à-dire la capacité de prévoir une cargaison de retour pour que le chauffeur ne revienne pas à vide, est une préoccupation quotidienne pour les transporteurs et les indépendants depuis toujours. Il y a bien le marché au comptant qui existe pour boucher des trous, mais ce n’est pas une panacée. Pourquoi? Si tu peux plus facilement trouver un voyage de retour à Toronto, Boston, Miami, Vancouver ou Los Angeles, c’est moins facile en Gaspésie, en Abitibi, en Idaho ou dans le nord de l’Ontario.

Sauf pour les transporteurs qui ont des contrats fixes avec des clients.

L’autre solution envisagée, celle de faire circuler les camions hors des heures de pointe, évite de prendre de front les véritables problèmes auxquels les acteurs de l’industrie sont confrontés au quotidien: l’augmentation du parc de véhicules et les moyens à prendre pour réduire cette pression sur le réseau routier du MM.

Alors que l’industrie est aux prises avec une main-d’oeuvre difficile à recruter et à retenir, on va demander aux chauffeurs de travailler à des heures impossibles, notamment la nuit, pour éviter les nombreuses périodes de congestion durant le jour!!!

Déjà que les chauffeurs détestent passer sur l’île. On veut maintenant leur demander de sacrifier ce qu’ils leur restent de temps libre et de vie sociale pour zigzaguer entre les congestions…

Ce n’est pas l’idée du siècle.

Pas de vision globale

Mais revenons au rapport.

On constate également que les solutions pour réduire l’impact des GES par l’industrie du camion lourd ne sont pas à la hauteur du problème à régler. Au lieu de s’attaquer au véritable problème, c’est-à-dire aux 803 799 véhicules qui ont été ajoutés au réseau routier québécois entre 2013 et 2021 (pour un total de 6 995 085 véhicules en circulation), on préfère l’esbroufe technologique et des incitatifs financiers sans effet structurant pour amener une majorité de travailleurs à délaisser l’auto solo pour les transports collectifs.

Ce que ça prend, au final, relève davantage de vision et de courage politique que de solutions molles qui ne dérangent personne. Des péages automobiles pour tous les accès à l’île, d’abord. Avec l’argent récolté, on peut planifier, construire et déployer des transports collectifs efficaces, économiques, tentaculaires et confortables. De l’argent dédié qui réduirait considérablement la pression automobile sur le réseau… et laisserait plus d’espace aux camions.

Un service essentiel, faut-il le rappeler.

Le développement d’infrastructures de transport intégrées à long terme, un peu à la manière du Five Finger Plan de Copenhague, au Danemark – une ville qui pense son développement urbain 50 ans à l’avance – ainsi qu’une planification intermodale complète pourraient faire entrer et sortir les marchandises de l’île sans que les poids lourds aient à y mettre les roues.

De plus petits camions entièrement électriques ou à l’hydrogène vert, enfin, seraient chargés, sur des infrastructures stratégiques planifiées et utilisées exclusivement pour les camions et autres autobus, de déplacer les marchandises de la ville vers des centres de distribution en périphérie (et vice versa).

C’est ce qu’on nomme, en transport routier, la logistique du dernier kilomètre.

Des investissements inégalement distribués

Malheureusement, le montant de 20 milliards de dollars contenu dans le Plan québécois des infrastructures 2020-2030 du gouvernement du Québec, lequel est cité dans le Plan métropolitain de développement économique de la CMM, fait la part belle à l’électrification des transports.

« Les gouvernements du Canada et du Québec annoncent des investissements majeurs dans le domaine des transports. Au Québec, près de 20 G$ seront investis dans le secteur des transports dans les cinq prochaines années, dont des investissements de 15,8 G$ en transport collectif, dans le cadre du Plan québécois des infrastructures 2020-2030. Trains, autobus urbains et scolaires, taxis, voitures et camions seront tous progressivement électrifiés ». (page 63 du rapport de la CMM)

Que l’on s’entende bien: électrifier les transports est une très bonne chose pour l’économie québécoise, les entreprises concernées, la santé de ses citoyens, la pollution atmosphérique et le bruit ambiant. Mais c’est loin d’être suffisant pour réduire, en 2030, 37,5% de nos émissions par rapport à l’année 1990. Il nous faut conséquemment repenser en profondeur l’utilisation de nos infrastructures routières, l’étalement urbain, l’organisation du travail et l’intermodalité si on veut atteindre nos cibles.

Mais avec ce plan économique de la CMM, on atteint la mauvaise cible.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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