Les camions autonomes ouvrent la voie dans l’industrie forestière

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Dans une forêt sauvage du Québec, un lynx du Canada observe curieusement depuis un buisson le passage d’un peloton de camions forestiers Mack Granite, dont l’un est autonome, sur un chemin forestier éloigné. Pendant ce temps, dans le Maryland, des ingénieurs de Robotic Research Autonomous Industries (RRAI) observent le lynx sur des écrans installés pour surveiller les performances des pelotons de camions autonomes desservant une usine de Resolute Forest Products.

La nature sauvage du Canada confronte les camions forestiers à certaines des conditions les plus difficiles que l’on puisse imaginer. Selon Robotic Research, c’est l’environnement idéal pour l’automatisation à court terme du camionnage commercial.

(Photo : RRAI)

Gabe Sganga est responsable de la croissance commerciale de RRAI. L’entreprise a débuté dans l’automatisation il y a plus de 20 ans, avant même que quiconque dans le secteur du camionnage commercial n’envisage d’automatiser les poids lourds. À l’origine, Robotic travaillait avec le U.S. Department of Defense pour développer des véhicules militaires automatisés. Ces dernières années, l’entreprise a réalisé que sa plateforme de conduite autonome AutoDrive avait également un potentiel commercial.

L’équipe dirigeante de l’entreprise s’est regardée et s’est dit : «Nous avons construit un ensemble de technologies de bout en bout qui est vraiment axé sur le hors route. L’un des meilleurs cas d’utilisation commerciale que nous ayons trouvé était la sylviculture dans les régions où il y a un manque de ressources humaines, ou qui sont incroyablement éloignées et où il est difficile de trouver des gens pour faire le travail.»

Alors que l’automatisation du camionnage s’est surtout concentrée sur le kilomètre intermédiaire, RRAI a estimé que le plus grand potentiel de réussite rapide se trouverait dans le hors route.

Se frayer un chemin hors des sentiers battus

«D’un point de vue réglementaire, c’est un endroit assez effrayant pour les prochaines années», a déclaré M. Sganga à propos des applications intermédiaires. «Nous voulons vraiment nous concentrer sur les endroits où l’autonomie peut faire la différence à court terme.»

Pendant ce temps, FPInnovations, un organisme de recherche québécois axé sur l’industrie forestière, travaillait avec ses membres pour relever des défis tels que le manque de transporteurs professionnels de grumes. Il s’est associé à RRAI pour lancer un projet visant à tester des pelotons de camions autonomes sur des itinéraires d’exploitation hors route afin d’acheminer les grumes de la forêt à l’usine de manière sûre et efficace.

«Notre mission est d’aider l’industrie à être plus compétitive et de contribuer à la transformation de l’industrie», a affirmé Stéphane Renou, président et PDG de FPInnovations, à propos du projet. «Ce projet a rempli ces deux objectifs.»

Jusqu’à 40 % du coût du bois peut être imputé aux frais de transport, a-t-il souligné. Les entreprises forestières ont du mal à trouver des chauffeurs pour transporter leurs produits dans des zones reculées sur des routes arides. «Le transport efficace de la biomasse du nord au sud et jusqu’aux usines est devenu un goulot d’étranglement.»

M. Renou indique que FPInnovations a d’abord pensé qu’aller directement vers l’autonomie complète c’était «faire un pas de trop». Mais il a ajouté : «Lorsque nous commençons à étudier les concepts de pelotons, c’est-à-dire le fait de faire suivre le camion de tête par un autre camion, cela devient intéressant.»

Parfait pour la formation de pelotons

Le camion de tête d’un peloton est piloté par un conducteur humain qui établit un fil d’Ariane, pour ainsi dire, que les camions suivants peuvent suivre, même là où il n’y a pas de routes pavées. Les unités suivantes (une dans les premiers essais, mais d’autres sont possibles) sont équipées d’un lidar et d’autres technologies leur permettant de suivre le camion de tête sans conducteur humain. FPInnovations et RRAI ont conclu avec succès les essais de référence en juillet et continuent aujourd’hui d’exploiter les pelotons Mack Granite équipés d’AutoDrive.

Mais Robotic Research n’a pas choisi de commencer dans un environnement hors route parce que c’était facile.

«Nous pensons que le défi le plus difficile à relever est d’opérer dans des espaces vraiment multidimensionnels et indéfinis où il n’y a pas de routes pavées , et dans certains cas, où il n’y a même pas de routes», a indiqué M. Sganga. «Si vous y arrivez quand vous opérez dans les régions sauvages du Canada et dans le bassin permien du Texas où les températures peuvent atteindre 115-120 degrés F [49 C] en été, alors vous pouvez faire à peu près n’importe quoi.»

Les températures, bien sûr, sont très différentes dans le nord du Québec, tout comme l’état des routes. Mais M. Sganga précise que l’entreprise doit être en mesure de faire face à toutes les conditions météorologiques et routières.

«Si un véhicule conduit par un humain peut faire face aux intempéries, nous devons être capables d’en faire autant», a émis M. Sganga. «Jusqu’à présent, AutoDrive a fait un travail fantastique. Du point de vue de la perception et de la planification de la trajectoire, nous nous en sortons très bien.»

Un autre défi rencontré dans la sylviculture, qui ne serait pas un problème dans les villes pavées, c’est que les routes elles-mêmes sont en constante évolution. Les routes forestières sont recréées tous les deux ans et peuvent même subir des changements au jour le jour en fonction du trafic qu’elles rencontrent.

(Photo : FPInnovations)

Modification de l’état des routes

«L’état de la route change tous les mois ou toutes les semaines», explique M. Renou. «Il s’agit souvent de routes partagées entre différents opérateurs pour différentes raisons. Ainsi, une route en bon état un jour ne le sera plus trois semaines plus tard, parce que quelqu’un est passé avec une charge plus lourde et a créé des nids-de-poule et des problèmes. C’est pourquoi il est très important d’avoir un système qui cartographie en permanence non seulement la structure de la route, mais aussi tout ce qui peut se produire entre-temps.»

Le marché des véhicules hors route peut être considéré par certains comme un tremplin vers l’automatisation plus répandue du camionnage commercial. Mais il représente une énorme opportunité en soi, a fait part M. Sganga, notant que le potentiel du marché pour les applications hors route se situe entre 8 et 15 milliards $.

«Le marché du kilomètre intermédiaire est beaucoup plus vaste», reconnaît-il. «Mais si l’on en croit FPInnovations et d’autres partenaires et clients, c’est maintenant qu’ils ont besoin d’autonomie. Nous nous concentrons donc sur cet espace, car c’est là que l’autonomie peut être exploitée aujourd’hui.»

Selon lui, les camions testés aujourd’hui par FPInnovations seront modulables et prêts à être produits dans les deux prochaines années.

Technologie de modernisation

Le système AutoDrive peut être installé sur n’importe quelle marque de camion de classe 8. Robotic Research a choisi Mack pour ce projet parce qu’elle connaît le fabricant pour avoir travaillé avec elle sur des véhicules militaires et que les deux entreprises ont de bonnes relations de travail. Lorsque RRAI arrivera sur le marché, elle prévoit d’offrir sa plateforme sous forme de service d’abonnement.

«Les services d’abonnement sont fournis à un prix ferme, fixe et prévisible», a expliqué M. Sganga.

RRAI et FPInnovations envisagent également le jour où l’automatisation complète d’un seul camion sera possible sur les routes forestières, mais M. Renou affirme que le peloton offre une bonne occasion de se familiariser avec la technologie des camions automatisés, avec son potentiel et avec ses limites.

«Pour nous, le suivi en peloton est en fait le moyen d’éduquer tout le monde», a-t-il indiqué. «Il présente les éléments clés qui doivent être présents pour aller de l’avant.»

«Nous pouvons gérer l’autonomie d’un seul véhicule aujourd’hui«, a ajouté M. Sganga. «Mais nous pensons qu’il s’agit d’une étape intermédiaire importante qui permet d’obtenir un retour d’investissement significatif pour les clients et les utilisateurs finaux à plus court terme. L’autonomie des véhicules individuels est là, elle arrive dans le grand public, et je pense qu’elle aura un impact sur des secteurs tels que l’industrie forestière en premier lieu, en raison de la nature contrôlée du domaine d’exploitation et de la capacité hors route de la technologie.

Perturbation de la chaîne d’approvisionnement

Aujourd’hui, la possibilité de faire rouler trois camions avec un seul chauffeur intéresse les entreprises forestières qui ont du mal à trouver des chauffeurs. D’autres secteurs, tels que l’industrie minière, suivent de près le projet pour voir s’il peut être appliqué à leurs propres utilisations hors route, a souligné M. Renou. Il est également conscient que cette technologie pourrait perturber l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement forestière, qui dépend aujourd’hui fortement des voituriers remorqueurs et des petites flottes d’entrepreneurs de transport de bois.

«La structure des coûts va changer, le mode de fonctionnement va changer», admet M. Renou. «Cela va bouleverser le modèle d’affaires. Si vous l’étendez aux cours des scieries, vous agirez dans l’un des endroits de l’industrie forestière où les opérations sont probablement les moins efficaces à l’heure actuelle.»

Mais M. Sganga a ajouté qu’un élément humain sera toujours nécessaire, même si l’automatisation s’intensifie.

«À court terme, je ne vois pas de monde où les robots feront ces choses tout seuls», a-t-il déclaré. «Nous croyons en l’autonomie surveillée : à l’avenir, les partenaires de FPInnovation qui exploitent nos véhicules disposeront d’un centre de commandement où ils surveilleront les véhicules pendant qu’ils roulent. Et si le véhicule rencontre quelque chose dans une cour ou sur un sentier, ils recevront une alerte et ils la remonteront, la regarderont et diront : ‘C’est quelque chose sur lequel nous devons intervenir’. Ils prendront une manette et ils manœuvreront le camion s’il s’agit de quelque chose que le véhicule n’arrive pas à comprendre. Nous reprendrons ces enseignements et améliorons le produit.»

Et il se peut qu’ils aperçoivent des animaux sauvages pendant qu’ils y sont.

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