Les compagnies de fret commencent à se détourner de Montréal par crainte d’une grève portuaire

Une grande entreprise de transport a détourné des marchandises du port de Montréal par crainte d’une grève potentielle, ce qui laisse présager que d’autres entreprises puissent suivre son exemple.

Delmar International, une entreprise de logistique de Montréal qui compte 1 500 employés dans 17 pays, a annoncé que toutes les marchandises à destination de Montréal passeraient désormais par le port d’Halifax dans le cadre d’une mesure préventive visant à limiter les retombées d’un éventuel conflit syndical.

Photo: Port de Montréal
(Photo : Port de Montréal)

«Alors que les incertitudes persistent au port de Montréal, Delmar International réacheminera toutes les marchandises en provenance de la côte est de Montréal via Halifax afin de limiter l’impact négatif d’un éventuel arrêt de travail jusqu’à nouvel ordre», a indiqué la société à ses clients dans un message publié la semaine dernière.

Au début du mois, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a rejeté une demande des employeurs du port de Montréal d’obliger les employés à travailler pendant une grève, ouvrant ainsi la voie à une action syndicale ou à un lock-out après un gel de six mois pendant que la demande était à l’étude. Ce gel a pris fin avec la décision du Conseil le 14 mars.

Vendredi, l’Association des employeurs maritimes a déposé une plainte auprès de la commission du travail, l’invitant à relancer les négociations en raison de la «mauvaise foi» du syndicat, qui, selon elle, a refusé de reprendre les négociations.

«Les parties sont dans une impasse causée par le refus du syndicat de négocier», peut-on lire dans le mémoire. «L’association s’adresse au CCRI pour obtenir d’urgence une audience et des recours afin de forcer le syndicat à se conformer à ses obligations et ainsi permettre la reprise des négociations.»

Selon le dossier, la dernière réunion entre les deux parties a eu lieu le 16 janvier.

Isabelle Pelletier, porte-parole de l’association, a déclaré que les employeurs étaient «très inquiets» des conséquences des craintes croissantes d’une grève imminente.

Cargaison réacheminée

«Nous avons de fortes raisons de penser que les marchandises seront réacheminées en raison de l’incertitude qui règne au port de Montréal», a-t-elle affirmé dans un courrier électronique.

Les employeurs, qui, dans leur plainte, accusent les travailleurs de «faire fuir» le fret, notent qu’ils continuent à payer les employés, y compris ceux qui ne sont pas au travail, alors que les volumes de fret sont en baisse, soit une «situation intenable» puisque les revenus diminuent au même rythme que le fret, a souligné l’association.

Selon les données de tonnage du port, les expéditions de conteneurs ont chuté de près de 9 % l’année dernière.

Le syndicat des débardeurs, qui représente environ 1 200 travailleurs du port de Montréal affiliés au Syndicat canadien de la fonction publique, s’est refusé à tout commentaire. Mercredi était la date limite pour répondre à la plainte de l’employeur auprès de la commission du travail.

La convention collective a expiré le 31 décembre.

La chaîne d’approvisionnement maritime du Canada a connu plusieurs interruptions de travail au cours des quatre dernières années, en plus des retards et des goulets d’étranglement dus à la pandémie de COVID-19.

L’été dernier, une grève de 7 400 débardeurs britanno-colombiens a duré 13 jours, entraînant la fermeture du plus grand port du pays et coûtant des milliards de dollars à l’économie.

En octobre, une grève de huit jours des employés des écluses de la Voie maritime du Saint-Laurent a interrompu les expéditions de céréales, de minerai de fer et d’essence le long du corridor commercial.

À Montréal, les débardeurs se sont mis en grève pour la dernière fois en août 2020, dans le cadre d’une action de 12 jours qui a laissé 11 500 conteneurs à l’abandon.

Selon les observateurs, la suspicion mutuelle persiste encore aujourd’hui après cette impasse.

Le ministre fédéral des transports, Pablo Rodriguez, a fait état lundi d’un «climat de méfiance» apparent entre les débardeurs et l’Association des employeurs maritimes, qui représente les expéditeurs  et les opérateurs de terminaux.

D’autres ont faut écho de leurs préoccupations.

Situation critique

«La situation devient critique», a déclaré Julia Kuzeljevich, porte-parole de l’Association canadienne des transitaires internationaux.

«On craint fortement qu’ils ne déposent un préavis de grève de 72 heures à tout moment», a-t-elle indiqué. «Beaucoup de gens choisissent de détourner leurs cargaisons… C’est un grand point d’interrogation qui plane sur la situation.»

Avant d’entamer les piquets de grève, le syndicat devra organiser un vote sur le mandat de grève, ce qu’il peut faire à tout moment. Si le vote est positif, le mouvement de grève pourrait débuter trois jours après que les dirigeants en auront donné l’ordre. Selon Bob Ballantyne, conseiller principal à l’Association canadienne de gestion de fret, dont la soixantaine de membres comprend Canadian Tire, la Compagnie de la Baie d’Hudson et Home Depot Canada, les grands détaillants seraient parmi les plus durement touchés par une interruption de travail.

«À l’avance, ils commenceront à prendre d’autres dispositions. Je pense qu’un certain nombre de nos grands détaillants et d’autres importateurs ont déjà commencé à le faire», a souligné M. Ballantyne.

«Ils envisageront de réacheminer les marchandises principalement vers les ports d’Halifax et de St John, au Nouveau-Brunswick.»

Entre-temps, des tensions syndicales sont également ressenties dans le secteur des transports.

Les deux principales compagnies ferroviaires du Canada ont repris ce mois-ci les négociations avec le syndicat représentant quelque 9 200 chefs de train, mécaniciens et agents de triage, un va-et-vient supervisé par des médiateurs fédéraux depuis le 1er mars.

Une période obligatoire de 60 jours de négociations par voie de médiation, suivie d’une période de réflexion de 21 jours, signifie qu’un arrêt de travail à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ou au Canadien Pacifique Kansas City Ltd. pourrait débuter dès le 21 mai.

En novembre 2019, une grève ferroviaire a frappé le pays pendant huit jours jusqu’à ce que le CN et 3 000 cheminots concluent un accord de principe, mettant ainsi fin à un conflit de travail qui a interrompu les expéditions, entraîné des licenciements et perturbé les industries dans tout le pays.

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