Les futures normes d’émissions pousseront les fabricants de moteurs aux limites de la technologie

En mars dernier, l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis a présenté deux options au sujet d’une norme qui réglementerait les émissions d’oxyde d’azote (NOx). L’une d’elle a pratiquement fait l’unanimité contre elle chez les fabricants de camions et de moteurs, leurs associations et les autres parties impliquées dans la production et l’exploitation de camions lourds.

Et c’est finalement cette option qui s’est imposée à tous lorsque la règlementation finale a été publiée le 20 décembre.

Bien que cette règlementation offre aux fabricants de camions et de moteurs une clarté dont ils avaient grandement besoin, le chemin à parcourir par l’industrie demeure déconcertant. Elle établit les coupures les plus sévères jamais vues des émissions de NOx – 40 % plus bas que les normes actuelles d’ici 2040 et près de 50 % d’ici 2045. Selon l’EPA elle-même, les nouvelles normes sont plus de 80 % plus exigeantes que celles ayant cours actuellement.

Le soleil se couche sur le monde des moteurs diesel. La nouvelle étape de réduction des NOx de l’EPA forcera les fabricants de camions à élaborer des technologies alternatives. (Photo : Jim Park)

Dès l’arrivée des véhicules de l’année-modèle 2027, les émissions de NOx devront être coupées à 0,035 gramme par cheval-heure en utilisation normale, à 0,05 gramme sous faible charge du moteur et à 10 grammes pendant la marche au ralenti. Les normes actuelles ne tiennent pas compte des charges au moteur et ignorent en quelque sorte les conditions de faible charge, de marche au ralenti et de démarrage, alors que les systèmes de traitement postcombustion sont froids et ne fonctionnent pas à leur efficacité optimale.

Les nouvelles normes dictent par ailleurs l’augmentation de la vie utile définie des véhicules visés de 1,5 à 2,5 fois et exigent que les garanties des systèmes de contrôle des émissions soient 2,8 à 4,5 fois plus longues que celles en vigueur en ce moment. Ces durées de vie utile et périodes de garantie plus longues visent à s’assurer que les véhicules demeurent conformes aux normes d’émissions de l’EPA même lorsqu’ils prennent de l’âge.

Bien que tous ces chiffres ne signifient peut-être pas grand-chose pour le propriétaire moyen de camions, les énormes coupures dans les émissions de NOx représentent un formidable défi technique pour les fabricants de véhicules et de moteurs. Dans les commentaires qu’elle a soumis en avril dernier à l’EPA, la Truck & Engine Manufacturers Association (EMA) a qualifié l’exigence de  réduction des NOx de «technologiquement infaisable », et a averti les autorités que sa mise en place « échouerait à atteindre ses objectifs environnementaux parce que les clients vont garder plus longtemps leurs camions plus vieux et qui produisent plus d’émissions.»

L’association a estimé que la technologie additionnelle requise pour se conformer à la norme et à ses dispositions quant à la vie utile et aux garanties prolongées ajouterait 35 000 $ US au prix d’un camion, sans parler des coûts d’entretien supplémentaires devant être assumés par le propriétaire du véhicule.

Dès l’arrivée des véhicules de l’année-modèle 2027, les émissions de NOx devront être coupées à 0,035 gramme par cheval-heure en utilisation normale, à 0,05 gramme sous faible charge du moteur et à 10 grammes pendant la marche au ralenti. Les normes actuelles ne tiennent pas compte des différentes conditions d’opération du moteur. (Photo : Jim Park)

Elle a également avisé que la nouvelle norme «retarderait la progression des véhicules zéro émission [VZE] en forçant les fabricants à détourner des ressources critiques de recherche et développement plutôt que de les consacrer à l’élaboration d’une technologie zéro émission.»

La complexité de la règlementation finale de l’EPA demande encore des efforts de compréhension, mais celle qui a été publiée – avec ses 2 064 pages – abonde de commentaires d’avertissement d’intervenants directement concernés, comme Daimler Truck North America (DTNA).

Dans les commentaires qu’elle a déposés au sujet de la proposition, DTNA a indiqué qu’elle conçoit et construit des systèmes de contrôle des émissions avec une marge de 40 %. Cette marge représente la différence entre la norme d’émissions et la performance de contrôle des émissions la plus faible «telle que conçue» que les fabricants de moteurs diesel visent pour leurs produits. Selon les commentaires de l’entreprise, les normes plus strictes et les durées plus longues exigeront une marge de conception de plus de 60 %.

« Il est clair que les émissions iront en s’accroissant au fil du vieillissement des moteurs », a déclaré Aaron Prowell, directeur de la conformité des gaz à effet de serre chez Paccar, lors d’une allocution devant le Technology and Maintenance Council de l’American Trucking Associations, lors de son congrès d’automne. « Pour contrôler cela et tenter de demeurer sous la limite tout au long de la durée de vie utile, les fabricants vont tenter de s’assurer que [le système] entame ses opérations sous le niveau de la norme. Les fabricants d’équipement d’origine vont ajouter une marge de conformité pour gérer ces facteurs incontrôlables. »

M. Prowell a jouté que certains facteurs peuvent être pris en charge par les fabricants, mais que ce n’est pas le cas de plusieurs autres, comme les tolérances de fabrication, l’environnement dans lequel les véhicules travaillent, les pratiques d’entretien de l’utilisateur final et même les habitudes de conduite des chauffeurs.

Des fabricants tels que Daimler ont déclaré qu’ils sont incapables de prédire ou de contrôler la dégradation à long terme dans le cadre des nouvelles règles, puisqu’aucun système de ce type n’existe présentement. Ainsi, le système n’a pas été testé aux limites de son design. Selon les commentaires de l’EMA, la règle proposée a été « établie sur un seul ensemble de données – dans certains cas sur un seul point de données – provenant d’un prototype de moteur toujours en développement, utilisé lors d’une expérience qui n’a pas entièrement été couronnée de succès. »

Garanties et vie utile

Les dispositions relatives aux garanties et à la vie utile auront des impacts majeurs sur les fabricants et les premiers propriétaires du véhicule, du moteur et du système de traitement postcombustion. Selon l’interprétation traditionnelle du terme «garantie», un fabricant a l’obligation de réparer ou de remplacer une pièce défaillante dans un délai défini. C’est la raison pour laquelle ils conçoivent et fabriquent des produits afin qu’ils atteignent et même dépassent généralement leur durée de vie utile prévue. Parfois, les fabricants recommandent certaines pratiques d’entretien sur le produit pour en assurer la couverture de garantie. Ce sera certainement le cas ici.

«Nous n’avons pas de contrôle sur les pratiques d’entretien des flottes, mais nous pouvons stipuler ce qu’elles devraient être», a déclaré M. Prowell. «Cela peut un avoir un impact sur le coût total de propriété.»

Et ce serait probablement au-delà du prix estimé d’un camion par l’EMA.

Les fabricants de moteurs pourraient avoir du mal à récupérer leur investissement de réduction des NOx si les législateurs imposent une obligation de vente de véhicules zéro émission à l’industrie. (Photo : Jim Park)

Les fabricants de moteurs se trouvent dans une situation où ils doivent tenter de déterminer ce qui arrivera aux systèmes au fil de leur vieillissement et de leur dégradation, et comment les différents environnements d’utilisation, cycles de service et même les cotes de performance affecteront la détérioration des systèmes.

Les garanties sur les systèmes de contrôle des émissions vont bondir du niveau de 100 000 milles (160 000 km) où elles sont aujourd’hui à 450 000 milles (725 000 km) pour les camions de l’année-modèle 2027. La «vie utile» du véhicule devra s’étirer sur 650 000 milles (1 million de km) comparativement à 435 000 milles (700 000 km) actuellement.

En bout de ligne, même si les fabricants d’équipement d’origine arrivaient à trouver le moyen de garantir un tel camion, les frais de réparation ne seraient pas le plus gros problème des flottes. Ce serait le temps d’indisponibilité – qui n’est pas couvert par la garantie.

L’autre variable souvent mentionnée dans les commentaires des fabricants, c’est la qualité et les capacités des capteurs. Comme Daimler Truck l’a mentionné, il n’y a aucun capteur de prix raisonnable qui soit capable de détecter avec fiabilité des variations mineures dans les rejets de NOx, qui sont déjà à des niveaux minuscules. D’autre part, disaient les commentaires, il est peu probable que les fabricants de capteurs investissent les sommes d’argent requises pour élaborer de tels capteurs dans de si courts délais, en particulier si ce produit a un horizon limité.

Avec la fabrication de moteurs diesel appelée à diminuer alors que les camions électriques font leur entrée sur le marché, les fabricants de capteurs, tout comme les fabricants de moteurs d’ailleurs, voient une bien faible possibilité de récupérer ce qui serait un investissement technologique substantiel.

La carte CARB

Cela dit, il faut également tenir compte de l’Omnibus Low-NOx Rule du California Air Resources Board (CARB). Elle a été finalisée à l’été 2020 et édicte des cibles d’émissions additionnelles pour les fabricants de moteurs. Bien qu’elle n’affecte que les flottes qui travaillent en Californie, elle s’applique aussi à des flottes qui ne sont peut-être pas établies dans cet État – y compris des flottes du Canada.

La règle CARB exige une réduction de 90 % des NOx qui sortent des échappement (ce qui est plus sévère que la nouvelle règle de l’EPA), en plus de neuf autres exigences réglementaires sur les camions lourds neufs et leurs moteurs, notamment une réduction de 50 % des émissions de particules (suie).

Cela ajoute une charge de travail d’ingénierie importante aux fabricants d’équipement d’origine qui doivent se conformer à un ensemble de normes pour la Californie et une poignée d’États qui disent vouloir suivre son exemple, et ensuite les normes de l’EPA pour le reste des États-Unis et, par extension, le Canada.

Il y a pire. Ironiquement, alors que les fabricants de camions et de moteurs se démènent pour se conformer aux réductions de NOx exigées à la fois par le CARB et l’EPA, la règle Advanced Clean Truck (ACT) du CARB exige des fabricants qu’ils commencent à vendre des véhicules zéro émission (VZE). Les quotas de ventes sont établis en fonction d’un pourcentage du volume de ventes annuel que réalise en Californie un fabricant de véhicules routiers.

À compter de 2024, ce pourcentage sera de 5 %. Il augmentera graduellement chaque année pour atteindre 30 % en 2030. D’ici 2040, si la règle Advanced Clean Fleets (ACF) du CARB est adoptée, l’augmentation annuelle demeurerait à 40 % jusqu’en 2040, lorsqu’une obligation de vente de 100 % de VZE entrerait en vigueur.

«Nous avons fait part de nos préoccupations quant à la cadence établie par cette règle aux organismes, mais elle a été adoptée », a déclaré l’ingénieure aux affaires réglementaires de Daimler Truck North America, Alissa Recker, lors du congrès d’automne du TMC. «Nous estimons qu’il doit y avoir un marché et un réseau électrique prêt et solide, ainsi que des possibilités de recharge, pour que l’implantation de ces véhicules soit possible.»

Cette règle s’est également attiré les foudres du président de l’EMA, Jed Mandel.  Dans une déclaration diffusée lorsque la règle a été finalisée, il a accusé le CARB de mettre en place simultanément de coûteuses mesures pour atteindre de faibles niveaux de NOx, tout en engageant les fabricants à remplacer ces camions par des véhicules zéro émission.

«La combinaison et le chevauchement des deux exigences réglementaires que le CARB a approuvées cet été [2020] menace le marché des camions commerciaux en Californie», a-t-il dit. «Plutôt que d’acheter des véhicules neufs en Californie qui sont coûteux, compliqués et n’ont pas fait leurs preuves, les exploitants de camions et les expéditeurs de marchandise vont vraisemblablement entretenir de vieux camions plus longtemps et se mettre à la recherche de solutions à l’extérieur de l’État.»

Plus à venir

On l’avait pratiquement oubliée avec le barrage de nouvelles règles sur les émissions, mais il y a toujours la Greenhouse Gas Phase 2. Il s’agit d’une règle en trois volets contenant des exigences en matière de réduction des GES – et d’amélioration d’économie de carburant – entrant en vigueur en 2021, 2024 et 2027. L’EPA laisse maintenant entendre qu’elle pourrait resserrer encore davantage les normes de 2027.

Mme Recker a indiqué que rien d’officiel n’a encore été mis sur la table, mais que les fabricants de moteurs suivent la situation de près.

Elle a également dit à l’auditoire que l’EPA travaille sur GHG Phase 3, qui entrerait en vigueur en 2030. Une fois de plus, rien n’a été proposé jusqu’à maintenant, mais Mme Recker dit que les fabricants s’attendent à des hausses additionnelles en matière d’efficacité des véhicules et de ventes obligatoires de VZE basées sur les émissions moyennes de l’ensemble de la flotte d’un fabricant. «Ce qu’il convient de noter à propos des réductions de gaz à effet de serre dans l’actuel environnement à faible teneur en NOx, c’est qu’il y a souvent un compromis à faire entre réduire les émissions de NOx et les émissions de CO2», a-t-elle dit. «Ensemble, ces deux règles vont réellement générer de nouvelles technologies et de nouvelles innovations dans les véhicules.»

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