L’hydrogène pour les camions électriques à pile à combustible: un bon défi à relever

On parle beaucoup de l’hydrogène comme du carburant de l’avenir au Canada. Bien qu’il ne fasse aucun doute qu’il jouera un rôle dans la décarbonation de notre économie, le chemin vers le transport à l’hydrogène n’est pas pavé de slogans ou de réponses faciles.

L’hydrogène est l’élément le plus abondant dans l’univers. Les étoiles, y compris le soleil, sont des boules géantes d’hydrogène. Mais ici, sur terre, l’hydrogène se trouve sous forme de composé avec d’autres éléments comme l’oxygène (qui donne de l’eau) ou des hydrocarbures complexes comme le gaz naturel, le charbon et le pétrole.

Il est difficile et compliqué de séparer l’hydrogène de sa forme composée.

L’hydrogène offre de nombreux avantages en tant que source d’énergie pour les camions, mais le calcul coûts-avantages est loin d’être clair à l’heure actuelle. L’hydrogène n’est pas nécessairement un carburant en soi, bien qu’il puisse l’être lorsqu’il est brûlé dans un moteur à combustion interne. Lorsqu’il est utilisé dans une pile à combustible, l’hydrogène est un moyen de stockage de l’énergie. Il fonctionne plus comme une batterie, en conservant une partie de l’énergie utilisée pour le séparer du composé hôte. Cette énergie peut être stockée et transportée sous forme de gaz comprimé ou de liquide cryogénique.

Convertir l’énergie renouvelable en hydrogène

C’est ce processus de séparation qui nous pose problème. L’énergie perdue lors du processus de conversion, en particulier l’électrolyse, le rend inutile et inefficace. David Cebon, professeur de génie mécanique à l’université de Cambridge, a décrit cette inefficacité dans un récent billet de blogue.

« La conversion de l’électricité renouvelable en hydrogène par électrolyse [séparation de l’hydrogène et de l’oxygène dans l’eau à l’aide d’un courant électrique], la compression et le stockage de l’hydrogène, puis son passage dans une pile à combustible pour produire de l’électricité destinée à alimenter un moteur électrique ont un rendement global d’environ 23 %. Cela signifie que 77 % de l’énergie est perdue sous forme de chaleur de qualité inférieure tout au long de la chaîne de conversion énergétique d’un véhicule électrique à pile à combustible (FCEV) ».

Cebon poursuit en disant que pour chaque 100kWh d’énergie renouvelable produite, environ 69 kWh atteignent les roues d’un véhicule électrique à batteries. « Par conséquent, le FCEV a besoin de trois fois plus d’électricité renouvelable pour parcourir la même distance qu’un BEV (Véhicule à batteries électriques) ».

Cela a des conséquences pour tout réseau énergétique, en particulier un réseau alimenté par des combustibles fossiles. Mais la récolte de l’énergie éolienne, solaire et même hydroélectrique, qui pourrait autrement rester inexploitée, atténue en partie l’inefficacité de l’hydrogène – à moins que des systèmes à batterie ne soient en concurrence pour cette énergie.

« Le FCEV a besoin de trois fois plus d’électricité renouvelable pour parcourir la même distance qu’un BEV » – David Cebon, Université de Cambridge.

Les batteries ne sont pas exemptes de problèmes, bien sûr, étant donné l’impact environnemental des processus d’extraction et de fabrication nécessaires pour créer les indispensables cellules.

Outre l’électrolyse, l’hydrogène est également produit à partir de matières premières hydrocarbonées telles que le charbon, le pétrole ou le gaz naturel par reformage du méthane à la vapeur (RMV). Selon les critiques, ce processus à forte intensité énergétique pollue davantage que l’utilisation pure et simple du combustible fossile. Selon la Hydrogen Science Coalition, l’hydrogène d’origine fossile produit à partir de gaz naturel émet environ 10 kg de CO2 par kg d’hydrogène, selon la source et le procédé utilisé.

Même le captage et le stockage du carbone (CSC) – qui consiste à extraire le CO2 du flux gazeux, à le pressuriser et à le stocker sous terre – ne permet de capter qu’un tiers ou la moitié du CO2. On estime que le projet Quest en Alberta, par exemple, permet de capter environ 45 % des émissions de CO2. Mais cette estimation varie également en fonction de la vision que l’on a du CSC. Si divers rapports indiquent les tonnes brutes de CO2 piégé, ils ne précisent généralement pas quel pourcentage de la production totale cela représente.

Projets canadiens relatifs à l’hydrogène

Au début du mois de février, la Nouvelle-Écosse a approuvé une proposition de projet d’hydrogène vert à Point Tupper, près de Port Hawkesbury, sur le Cap-Breton. Une entreprise appelée EverWind Fuels prévoit produire de l’hydrogène en utilisant de l’électricité renouvelable provenant de fournisseurs locaux d’énergie éolienne et de l’eau tirée d’un lac d’eau douce situé à proximité.

L’entreprise affirme qu’elle commencera à produire de l’hydrogène d’ici 2025 et qu’elle en produira 200 000 tonnes par an pour l’exportation. L’hydrogène sera mélangé à de l’azote pour créer de l’ammoniac, qui sera expédié sous forme liquide à des clients en Allemagne. Le projet de 6 milliards de dollars passera à 1 million de tonnes dès la deuxième année, alimenté par un parc éolien de 2 gigawatts qui sera construit sur des terres voisines.

Une autre société, World Energy GH2, développe un projet d’hydrogène vert dans l’ouest de Terre-Neuve-et-Labrador qui fournira environ 250 000 tonnes d’hydrogène par an grâce à des électrolyseurs de 1,5 gigawatt alimentés par un parc éolien de 3 gigawatts. Ce projet est encore à l’étape de l’évaluation environnementale, mais il devrait aller de l’avant.

Le Québec est l’un des principaux candidats à la production d’hydrogène vert, mais une annonce récente du ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a jeté un pavé dans la mare quant à son développement. Selon des rapports publiés, plusieurs projets d’hydrogène vert devraient être abandonnés en raison d’un manque d’électricité.

Les rapports indiquent que la province avait des propositions de projets nécessitant jusqu’à 9 000 mégawatts sur un total de 23 000 mégawatts identifiés pour des projets industriels. Revenant quelque peu en arrière, M. Fitzgibbon a ensuite publié une déclaration indiquant qu’entre 8 000 et 10 000 mégawatts pourraient être alloués à des projets liés à l’hydrogène d’ici 2032.

Un électrolyseur Cummins au Canada

En janvier 2021, le producteur de gaz industriels Air Liquide a ouvert une installation d’hydrogène vert à Bécancour, au Québec. Elle produit actuellement 8,2 tonnes par jour (3 000 tonnes par an) à partir d’un électrolyseur à membrane échangeuse de protons (PEM) de 20 mégawatts fourni par Cummins. Cette installation dessert déjà les clients industriels des environs.

« Nous pouvons refroidir et liquéfier l’hydrogène et le transporter économiquement sur 800 à 1 000 km par camion à un prix très compétitif », a déclaré Michel Archambault, qui était le directeur commercial de Cummins pour la production d’hydrogène sur le continent américain lorsqu’il s’est entretenu avec un groupe de journalistes en juin dernier. (Il a depuis quitté l’entreprise).

La technologie de l’électrolyseur Cummins étant une solution modulaire, elle est évolutive en fonction de la demande et pourrait bien s’adapter à une stratégie de ravitaillement en carburant pour les flottes, a-t-il ajouté. Par exemple, deux HyLYZER-500 de Cummins pourraient produire jusqu’à 2 000 kg par jour, soit assez pour 65 à 80 camions classe 6 avec 25 à 30 kg d’hydrogène à une pression de 350 bars (5 000 psi).

Cela fait la démonstration que le camionnage n’a pas besoin de méga-projets pour établir une infrastructure de ravitaillement en hydrogène. Mais le camionnage, en tant que marché potentiel d’hydrogène, ne représentera qu’une infime partie de ce qui est actuellement consommé par d’autres industries. Il est fort probable que les transporteurs routiers pourront s’associer à des fournisseurs ayant une capacité excédentaire ou installer leurs propres électrolyseurs derrière la clôture. Toutefois, le prix à six ou sept chiffres de cette technologie risque de refroidir quelque peu leur l’enthousiasme.

Les limites de l’hydrogène dans le transport routier

Alors, qu’en est-il de l’industrie du camionnage ? À en juger par les présentations et les questions de l’auditoire lors d’un récent webinaire organisé par le Groupe de travail sur l’hydrogène dans le camionnage (relevant de RNCan), le Centre d’innovation de Transports Canada et le groupe PIT de FPInnovations, il y a beaucoup plus de questions que de réponses.

Patrick-Olivier Tremblay, qui est directeur principal des ventes chez Kenworth Maska, a déclaré que ses clients s’intéressent à l’hydrogène et aux autres technologies non diesel, mais il admet ne pas avoir les réponses. Il a dit à l’auditoire que ses clients sont au courant des programmes d’incitation à l’achat de cette nouvelle technologie et qu’ils veulent s’y mettre le plus tôt possible, mais qu’il ne peut pas fournir toutes les réponses.

« Nous devons former notre force de vente et notre équipe de service pour que les clients réussissent leur transition énergétique », a-t-il déclaré. « Nous avons besoin d’investissements importants dans l’outillage et la conversion des aires de service pour ces véhicules alternatifs. Mais surtout, nous avons besoin de ressources techniques de la part des équipementiers de camions et de groupes motopropulseurs, et de personnes externes connaissant bien la technologie ».

« Les chiffres des évaluations américaines ne sont pas valables ici ».

– Marc Trudeau, Groupe PIT

Et si les questions sur l’hydrogène en général ne manquent pas, celles qui concernent spécifiquement le Canada font également surface, comme la façon dont les piles à hydrogène fonctionneront dans des climats plus rudes et avec des camions plus lourds.

 » Les flottes canadiennes veulent savoir ce qui se passe dans ce pays, et non pas dans les déserts de l’Arizona et de la Californie « , a déclaré Marc Trudeau, directeur des relations avec les partenaires et du développement commercial chez PIT Group.  » Nous entendons les chiffres rapportés par les équipementiers pour des charges de 80 000 livres dans des conditions météorologiques parfaites, mais les gestionnaires de flotte canadiens savent que ce n’est pas comme ça que ça va fonctionner au Canada. Dans les tests que nous avons effectués jusqu’à présent, les gestionnaires de flotte ont raison. Les chiffres des évaluations américaines ne sont pas valables ici ».

Certaines de ces questions pourraient être levées plus tard cette année grâce au projet de démonstration AZETEC (Alberta Zero Emission Truck Electrification Collaboration), dans le cadre duquel des camions tireront des charges alimentées à l’hydrogène entre Edmonton et Calgary pendant une année complète.

Mike Gomes, vice-président de la maintenance chez Bison Transport, a déclaré que le problème pour une grande partie de l’industrie réside dans la quantité (limitée) des données concernant les applications sur de longues distances.

«Ce qui est malheureux, c’est qu’un grand nombre de scénarios d’utilisation actuels sont faits à partir de voyages de très courte durée. Ce n’est pas là que se trouvent les émetteurs de carbone, mais nous devons y aller parce que c’est ce que la technologie permet aujourd’hui», a-t-il déclaré. « Je pense que le projet AZETEC nous donnera une idée plus précise du potentiel réel. Dans le cadre de ce projet, nous allons transporter 140 000 livres avec un véhicule à entraînement électrique, un camion alimenté par des piles à hydrogène ».

Une fois achevé, le projet servira de référence pour la faisabilité de l’adoption à grande échelle de l’hydrogène comme source d’énergie pour le transport commercial.

La demande mondiale d’hydrogène

Mais les analyses et les projections de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – un forum représentant 29 pays industrialisés – suggèrent que le défi sera énorme.

En 2019, le monde a consommé 115 millions de tonnes d’hydrogène, dont la grande majorité est allée à l’industrie lourde, notamment la sidérurgie, le raffinage pétrochimique et le chauffage. Les transports de tous types représentaient moins de 10 000 tonnes. Selon l’AIE, d’ici à 2030, la part des transports devrait atteindre 1,6 million de tonnes, puis 66,5 millions de tonnes en 2050 et près de 160 millions de tonnes en 2070.

Produire une telle quantité d’hydrogène vert sera un défi de taille. L’AIE suggère qu’environ 300 mégatonnes d’hydrogène pourraient être produites à partir d’électrolyseurs en 2070, dans ce qu’elle appelle le scénario de développement durable. Cela nécessiterait 13 750 térawatts/heure d’électricité, soit l’équivalent de la moitié de la production mondiale d’électricité actuelle, selon l’agence. En 2070, la capacité des électrolyseurs devrait passer de 170 mégawatts aujourd’hui à plus de 3 000 gigawatts.

En d’autres termes, pour atteindre les objectifs « zéro émission » en 2050, il faudra multiplier par six la production d’hydrogène par rapport à la production actuelle.

Attendez donc un peu avant de mettre votre diesel au rancart.

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