Mélanie Simard, c’est la détermination au service d’une irrésistible passion pour le camionnage

Dès notre première rencontre avec Mélanie Simard au Truck World de Toronto, en avril dernier, un constat s’impose pour l’auteur de ces lignes: sa passion pour le camionnage, qui dure depuis plus de 20 ans, n’a pas pris une seule ride. Totalement investie, Mélanie fait aujourd’hui la démonstration que rien, mais alors rien ne peut l’arrêter dans sa quête d’ambition pour cette industrie qui n’a pourtant pas toujours été très tendre avec elle.

Photo: Archives de Transport routier
Mélanie Simard.
Photo: Archives de Transport routier.

Son industrie.

Une industrie qui lui a quand même permis, depuis plus de vingt ans, de conduire des camions lourds, vendre des « voyages » à des transporteurs, faire la répartition avant de devenir une spécialiste de la sécurité et de la conformité au profit des transporteurs.

Car si elle a pu réaliser ses rêves au sein d’une industrie dont la culture macho est parfois rébarbative envers les femmes, c’est aussi grâce à un tempérament d’une grande rigueur, une bienveillante gentillesse, une détermination sans failles et la présence, dans son parcours, de quelques bonnes étoiles masculines.

Retour sur un parcours inspirant.

Faire connaissance avec sa passion

Au tournant du présent siècle, Mélanie entreprend son premier grand voyage en transport routier chez Traffic Tech. Cette entreprise, qui vend des cargaisons aux transporteurs, lui a permis d’apprendre, à titre de courtière en fret, les rudiments du métier.

« J’aimais ça, dès le départ, travailler avec ce sentiment d’urgence. Sentir cette dose d’adrénaline qui t’oblige à rester vigilante 24h sur 24h. M’assurer, par exemple, que les cargaisons vendues arrivent dans les temps chez le client. C’est grâce à cette fébrilité qu’on m’a rapidement confié des contrats importants, notamment avec l’industrie aéronautique. Livrer des moteurs pour « hier », ça arrivait souvent. Alors je parlais régulièrement avec les répartiteurs qui, chez les transporteurs, étaient responsables des livraisons. « 

Ce contact quotidien avec les répartiteurs développe chez elle une passion pour le travail de logistique. Mais aussi une frustration. « À cette époque, il n’y avait pas de technologies GPS pour connaître l’emplacement exact des cargaisons. Parfois, le répartiteur me disait que le voyage était parti alors qu’en fait, il était encore dans la cour. Ça m’irritait, moi qui préfère toujours donner l’heure juste aux clients. »

Une bonne étoile…

C’est durant ces premières années que Mélanie rencontre Denis Lacombe. Propriétaire de quelques camions, Denis achète souvent des voyages de Traffic Tech. Très généreux et serviable, il invite Mélanie à lui téléphoner avant de prendre contact avec un transporteur. « C’est l’époque où je faisais du transport extrême. J’appelais Denis pour qu’il m’aide à calculer les dimensions de la pièce à transporter et du bon équipement à utiliser. Grâce à lui, j’ai pu développer mes connaissances et bonifier ma réputation auprès des gens de l’industrie. »

Mais à 23-24 ans, personne ne voulait l’engager comme répartitrice. Trop jeune et sans expérience en camionnage, elle s’est alors tournée vers Denis pour lui dire : « je veux conduire des camions. Il a dit oui. J’ai pris deux semaines de congé de ma job et suis partie avec son chauffeur de confiance, Martin Tétrault, pour la Californie. J’ai eu la piqûre. »

…Et une moins bonne

Pour se faire payer un cours de formation en camionnage au Centre de formation en transport routier, Mélanie se rend au bureau du chômage près de chez elle. L’agent qui l’a reçue, sceptique parce qu’elle est une femme, a voulu la réorienter ailleurs. Mal lui en pris. Mélanie lui a passé un savon avant d’investir son propre argent pour prendre un cours privé, passer son examen à la SAAQ et obtenir sa classe 1.

« Pour moi, conduire un camion n’a pas de genre, ni de sexe. On gère un volant, essentiellement. Et comme j’ai la tête dure… »

Déterminée à obtenir sa classe 1 coûte que coûte, elle a appris la mécanique de véhicules lourds par coeur. « Le monsieur à la SAAQ, impressionné, m’a dit que je devais être très bonne à l’école, » nous a confié en riant une Mélanie Simard manifestement heureuse du compliment.

Un ange de la route

Avec sa classe 1 en poche, elle s’est naturellement tournée vers Denis pour du travail. Toujours trop jeune et sans expérience, elle n’était pas assurable pour une aussi petite compagnie. Martin Tétrault, le routier avec qui elle avait précédemment fait un voyage en Californie, lui propose de conduire avec lui, en alternance, dans le même camion que lui pour livrer des fruits et légumes avec un « reefer. »

Elle réalise un de ses rêves, mais pas avant de subir une sérieuse rebuffade. Une expérience qui prouve que l’industrie du transport routier n’était pas toujours très sensible, en 2005, au fait de bien accueillir les camionneuses en herbe: le recruteur d’une compagnie de transport pour laquelle elle a postulé un emploi de camionneuse, a exigé que Mélanie travaille avec un de ses formateurs. « Malaisant, affirme-t-elle, d’être avec un homme que je connais pas, dans un camion pour plusieurs jours consécutifs, afin de faire mes classes. Martin Tétrault et moi formions alors un couple dans la vie, alors je ne voulais personne d’autre que lui dans la même cabine que moi. »

Les hauts et les bas d’une camionneuse

Commence alors une aventure qui durera globalement six ans. Jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte de son garçon, en 2011. Une aventure teintée de hauts et de bas. Parmi les bas, il y a certains commentaires sexistes, blessants et offensants dans les relais routiers.

« Contrairement à aujourd’hui, la recrue était souvent laissée à elle-même. C’était « make it or brake it » (ça passe ou ça casse). On voulait m’envoyer à Chicago, le paradis des ponts bas (low bridges), ou New-York, là où tourner un 53 pieds est un véritable enfer. J’ai refusé. »

Elle a finalement opté pour Transport Georges Léger de Valleyfield. Ce transporteur, très moderne, ouvert et très inclusif envers les femmes, faisait la Californie (fruits et légumes). « Plusieurs couples travaillaient pour cette compagnie. Il était beaucoup plus facile, pour une recrue, de déplier un 53 pieds dans une ville étendue comme Los Angeles. Martin m’a tout appris sur le métier durant cette période. »

Des préjugés tenaces à l’égard des femmes

Mélanie constate que si son apprentissage va bien à l’intérieur de la cabine, ça se gâte un peu lorsqu’elle en sort. La résistance face aux femmes qui conduisent des gros camions est tenace chez les camionneurs. « Il n’était pas rare, quand je faisais décharger ma cargaison, de me faire dire de retourner dans ma cuisine. Certains me disaient qu’avec mon corps, je devrais plutôt être coiffeuse. »

Quand elle reculait son camion, Mélanie entendait souvent les gars, dans le CB, dire aux autres chauffeurs dans les haltes routières de tasser leur camion car la femme au volant risquait de les endommager. Mais il y a eu pire. « Quand j’ai commencé à conduire, en 2005, j’allais vers les gars dans les relais routiers pour me faire des amis. On me demandait souvent combien je chargeais, car certains pensaient que j’étais une prostituée… »

La répartition, enfin

Après avoir pris son expérience derrière le volant, Mélanie, maintenant assurable pour conduire seule, retourne chez Denis Lacombe avec Martin Tétrault. Mais cette fois, chacun dans son camion. Pendant deux ans et demi, elle fait la Californie. Parfois seule, mais la plupart du temps avec Martin dans son rétroviseur. Une période faste qui lui a permis de faire des arrêts dans les Rocheuses pour s’adonner à son sport favori: la planche à neige.

« À un moment donné, Denis m’a fait une proposition que je ne pouvais refuser: travailler dans le bureau. « Je voulais travailler en répartition, et Denis le savait, alors il m’a aidée. Mais de temps en temps, quand l’envie de faire de la route me prenait, il me réservait un voyage dans un coin reculé du continent. Mes destinations favorites: Goose Bay, Whitehorse, etc.. »

Quand la compagnie de Denis a fermé, en 2007, Mélanie a été engagée à la répartition chez Golden Eagle (Transforce). Là encore, être une femme n’a pas toujours été de tout repos. Malgré son expérience en camionnage, Mélanie devait parfois justifier ses décisions. « Il y a plusieurs gentils camionneurs qui me respectaient d’emblée. Certains, cependant, remettaient constamment en question mes compétences. »

Pour son voisin de bureau nommé « Striker », un répartiteur un peu brusque et directif envers les camionneurs, sa douceur et sa gentillesse ne sont pas nécessairement un avantage quand tu veux changer l’horaire d’un camionneur. « Dire à un camionneur que sa fin de semaine est perdue (avec sa famille ou ses amis) parce que je veux l’envoyer faire un voyage plus loin, c’est délicat. Ces gars-là sont des humains et doivent être traités avec respect, » dit l’ancienne camionneuse avec une réelle empathie dans la voix.

Tomber enceinte en camionnage

Après quelques années à osciller entre la répartition et le camionnage, Mélanie tombe enceinte en 2011. Au retour de son congé de maternité en 2013, son employeur, trouvant inhumain qu’elle ait à gérer des urgences en pleine nuit avec la Californie et un jeune bébé dans les bras, lui offre un poste en sécurité et conformité.

Ça tombe bien. La personne qui occupe ce poste arrive bientôt à l’âge de la retraite. Suite logique de sa carrière en répartition et en camionnage, Mélanie a tout le bagage requis pour imposer le respect aux opérations lorsqu’un voyage, pour des raisons de sécurité, ne peut pas aller plus loin. Cette bienveillance à l’égard des chauffeurs – ses frères d’armes – vient en partie de son expérience sur la route, mais aussi de son tempérament.

Aider les femmes

Aujourd’hui responsable d’une équipe de 23 personnes en sécurité et conformité chez Isaac Instruments, une entreprise québécoise de technologie qui emploie 40% de femmes, Mélanie déplore que le gouvernement fédéral n’offre pas de retrait préventif pour les femmes enceintes qui font du camionnage interprovincial ou transfrontalier.

« Une réalité qui oblige plusieurs d’entre elles à quitter (définitivement) l’industrie, » déplore-t-elle.

En reconnaissant que le camionnage peut être à risque pour les femmes enceintes, Mélanie est convaincue que l’industrie pourrait profiter d’un contingent plus important de camionneuses.

Car même si elle ne s’est jamais arrêtée aux commentaires misogynes, désobligeants et sexistes – « j’aime cette industrie plus que ses préjugés » – elle constate qu’un bond énorme a été fait par en avant depuis 20 ans. « Quand j’ai commencé à conduire des camions en 2005, termine-t-elle, une camionneuse rencontrée au hasard des haltes routières m’a dit que c’était pire au moment où elle a commencé sa carrière, vingt ans plus tôt. »

Voilà la preuve que le courage, la ténacité et la détermination de quelques femmes peuvent mettre KO des préjugés aussi simplistes, préjudiciables et faux. Et permettre à toute une industrie de bonifier sa réputation en ajoutant une bonne dose de camionneuses sérieuses, responsables, prudentes, rigoureuses et minutieuses à son arsenal de professionnels de la route.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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