Non, les camions ne font pas 40% de leurs déplacemements à vide
Lors d’un atelier présenté au 71e Congrès de l’Association du camionnage du Québec, Jacques Renaud, professeur titulaire à l’Université Laval et directeur du Département d’opérations et systèmes de décision, est revenu sur le rapport que le Comité consultatif sur les changements climatiques (CCCC) a publié l’automne dernier. Ce rapport critiquait les émissions de gaz à effet serre et le manque d’efficacité logistique de l’industrie du camionnage, lui reprochant notamment son taux de voyages à vide, que le rapport évaluait à 40%.
Parmi ses recommandations, le Comité proposait notamment au gouvernement d’instaurer une contribution kilométrique pour le transport routier de marchandises, proposition que Québec avait aussitôt rejetée du revers de la main, et de mettre en œuvre une stratégie ferroviaire et maritime pour favoriser au maximum le transfert modal.
Afin de recueillir des données récentes et pertinentes et de les comparer aux chiffres avancés dans le rapport du CCCC, la Fondation pour la formation en transport routier a mené un sondage auprès de l’industrie. Ces résultats ont été présentés lors de l’atelier Défis logistiques pour une industrie plus performance, préparé par les professeurs Jacques Renaud et Leandro Coelho et les étudiants Quentin Marissiaux et Mohammad Nasiri.
Le professeur Renaud a d’emblée relevé la désuétude des statistiques utilisées dans le rapport du Comité consultatif. «Certaines informations sont tirées de rapports de 2006-2007, rapports qui citent des données de 1999. On croit consulter un rapport de 2023, quelque chose de récent, mais quand on regarde les notes en bas de tableaux, on voit que les chiffres cités datent de très longtemps», nous a résumé le professeur Renaud.
Le rapport du CCCC indique que la consommation des camions lourds a augmenté de 9,5% entre 2000 et 2019. Mais l’activité du camionnage au Canada a augmenté de 38,3%, et son intensité énergétique a augmenté de 13,6%. «Cela veut dire qu’il y a plus de marchandises et que l’industrie du camionnage a été plus efficace à les transporter», a résumé M. Renaud
Dans son sondage, la Fondation pour la formation en transport routier a demandé aux transporteurs dans quelle mesure l’efficacité énergétique de leurs flottes s’est améliorée. «Vous avez répondu environ 2,5% par an au cours des cinq dernières années. Ça revient environ au 13% sur 20 ans. Vous transportez plus de marchandises et vous le faites de façon plus efficace au point de vue énergétique.»
Deux enquêtes (1999 et 2006-2007), menées pour le compte du ministère des Transports et de la Mobilité durable établissait à 37% la part des camions en déplacements à vide sur les routes du Québec. Une autre étude projettait que 40 % des déplacements de camions seront à vide en 2026. Ces chiffres ont été utilisés dans le rapport du CCCC.
Mais le professeur Renaud rectifie. « Ces chiffres viennent d’une étude menée en 2006-2007. C’est un vieux rapport qui s’appuyait sur le transport interurbain premièrement, du transport Québec-États-Unis et du transport Gatineau-Ottawa, ce n’était pas du transport local. Mais ce qui est ressorti dans le rapport et dans les médias, c’est 37%, alors que le même tableau, le pourcentage de kilomètre à vide est de 19%, ce qui se rapproche des chiffres que nous rapportent les transporteurs.»
Le taux de 40% quant à lui, fait référence à une prédiction de croissance : une étude prédisait que le taux de kilométrage à vide allait atteindre 40% en 2026. Il ne s’agissait pas d’un fait avéré, mais c’est le pourcentage que les médias ont utilisé.
Les dernières statistiques de Transports Canada disponibles sur le sujet faisaient état d’un taux de kilométrage à vide atteignant 15%, ce qui est plus représentatif de la réalité.
«Il faut faire attention entre combien de camions sont vides à un moment donné dans une journée, et la distance qu’ils parcourent à vide. Aussi, il faut vraiment tenir compte du type de transport; il ne faut pas mettre les lots brisés avec les citernes ou les remorques à plateau. Le transport n’est pas une industrie monolithique. On ne peut pas agréger tout ça et en tirer des statistiques générales.»
Karine Goyette de C.A.T. Transport et Patrick Turcotte, de Groupe TYT, ont pris part à une courte discussion dans le cadre de la présentation. « Je trouve ça aberrant. On fait des efforts pour améliorer l’image de notre industrie, depuis des années on investit pour être plus propres et plus efficaces, et des données faussées comme celles-là nous salissent encore davantage», a commenté Patrick Turcotte en lien avec les chiffres cités par le CCCC.
Les deux dirigeants s’accordent pour dire que les taux de kilométrage à vide dans leurs flottes se situent entre 6% et 12% selon les applications.
Karine Goyette s’est dite surprise de voir à quel point les chiffres avaient été gonflés. «Une entreprise qui fait plus de 15% de kilométrage à vide ne resterait pas en affaires très longtemps » a-t-elle conclu.
Donnez votre avis
Vos données ne seront ni publiées, ni partagées.