Qu’est-ce qui explique la faible rémunération des camionneurs?

Dans son livre révolutionnaire Sweatshops on Wheels, publié au début du siècle, Michael H. Belzer soutient que la faible rémunération des camionneurs est due au fait que les chauffeurs effectuent un quart de leur travail gratuitement.

«Ils sont victimes de l’indignité d’être obligés d’attendre des heures pour que leurs camions soient chargés et déchargés alors que l’on s’occupe d’abord des personnes dont le temps est plus précieux», a écrit le professeur d’économie de la Wayne State University.

Vingt ans plus tard, la situation a empiré, a déclaré M. Belzer dans une entrevue accordée à notre publication sœur Today’s Trucking depuis Ann Arbor, au Michigan.

«L’indemnisation a diminué d’un tiers ou même de moitié au cours des 40 dernières années», a-t-il déclaré, ajoutant rapidement que «cela ne fonctionnera pas vraiment de blâmer les chauffeurs ou les entreprises de camionnage.»

Qui est responsable, alors?

«Les acteurs du marché réellement responsables sont les propriétaires de cargaisons, mais ils diront qu’ils ne font que répondre à la pression des autres propriétaires de cargaisons. Tout le monde essaie de vendre des sous-vêtements pour 25 cents de moins», a déclaré l’ancien chauffeur de camion.

Il affirme que les expéditeurs ont tendance à avoir un certain pouvoir de marché. Ils contrôlent la relation, peuvent faire pression sur les transporteurs pour obtenir des prix déraisonnablement bas, et les forcer à accepter des immobilisations aux quais de chargement pour lesquelles ils ne paieront pas.

M. Belzer ajoute que la concurrence intense pousse les tarifs des transporteurs et des chauffeurs à un niveau si bas que les flottes ne peuvent pas embaucher les chauffeurs les plus qualifiés et créer des incitatifs basés sur la sécurité. Ces coûts liés à la santé et la sécurité ne sont pas intégrés dans les prix, et deviennent ce que les économistes appellent des «externalités».

«Ici, les externalités sont le problème de santé et de sécurité des chauffeurs, et le problème de la sécurité publique. Elles se reflètent dans l’échec du marché du travail, que l’on constate sous la forme d’une forte rotation et de ce que l’on appelle la pénurie de chauffeurs, a déclaré M. Belzer.

Michael H. Belzer (capture d’écran)

De toute façon, beaucoup de gens continuent à devenir camionneurs car ils n’ont pas beaucoup d’alternatives, a-t-il ajouté.

«Et les flottes sont incapables d’augmenter les salaires de manière substantielle à cause du nivellement vers le bas.»

Joanne Ritchie, directrice exécutive de la Owner-Operator’s Business Association of Canada (OBAC), a déclaré qu’elle avait eu «des milliers de conversations» avec des camionneurs au sujet de l’indemnisation au fil des ans.

«Je pense que la rémunération des chauffeurs est à la base de beaucoup de problèmes», a-t-elle déclaré.

«Les transporteurs et les expéditeurs ont également été complices de cette situation. Je veux dire, tant qu’ils pourront s’en tirer avec du travail gratuit, ils vont le prendre», de poursuivre Mme Ritchie.

Ross Reimer, président de la société de recrutement pour la chaîne d’approvisionnement Reimer Associates, a convenu que les chauffeurs doivent être mieux payés.

«Maintenant, nous parlons aussi d’une industrie du camionnage qui fonctionne avec des marges étroites. Les tarifs que les expéditeurs paient doivent augmenter afin de verser plus d’argent aux chauffeurs», a déclaré M. Reimer.

«Les transporteurs doivent avoir une plus grande marge pour pouvoir partager cette marge avec les chauffeurs.»

M. Reimer ajoute que de meilleurs salaires contribueront également à attirer davantage de jeunes dans l’industrie du camionnage.

Mesures incitatives pour la surcharge de travail  

Pour les camionneurs nord-américains, la semaine de 40 heures n’existe pas.

M. Belzer a cité une étude menée en 1997-98 par l’université du Michigan, selon laquelle les chauffeurs salariés travaillaient en moyenne 64,5 heures par semaine.

Un autre sondage, réalisé en 2010 par le National Institute for Occupational Safety and Health, a révélé qu’en moyenne, un chauffeur de camion longue distance travaille 50 % plus d’heures qu’un travailleur typique, a-t-il ajouté.

«Malheureusement, le revenu des camionneurs est si faible depuis des décennies que le taux de rémunération moyen devrait être 50 % plus élevé qu’en ce moment, pour inciter les camionneurs à réduire leurs heures de travail à 60 par semaine», a-t-il déclaré.

Selon Mme Ritchie, les tarifs au kilomètre ont augmenté récemment, mais cela n’aide pas vraiment car les chauffeurs ne sont toujours pas payés pour tout le travail qu’ils font.

«Donc, si vous regardez le nombre d’heures que les chauffeurs travaillent réellement, ou pendant lesquelles ils sont en service, et que vous comparez cela à ce qu’ils gagnent, je dirais que leur revenu réel est probablement inférieur au salaire minimum.»

Elle estime que la solution au problème de rémunération consiste à payer les chauffeurs pour tout ce qu’ils font.

Certains employeurs s’attaquent au problème en mettant en place une structure salariale hybride qui comprend une forme de rémunération pour les temps d’attente, a déclaré Craig Faucette, directeur des politiques et des programmes chez RH Camionnage Canada.

«Dans le cadre de notre programme Top Fleet Employer, nous avons constaté un changement important : la plupart des employeurs proposent un système de rémunération hybride pour les chauffeurs de camions longue distance en offrant un salaire horaire pour les temps d’attente», a déclaré M. Faucette.

«Aussi, dans le cadre de notre dernier sondage annuel, nous avons constaté une augmentation du nombre d’employeurs qui délaissent complètement la rémunération au kilomètre pour offrir un salaire horaire à leurs chauffeurs longue distance.»

Une question de sécurité

Michael Belzer a fait remarquer que la pression de la concurrence incite fortement à la surcharge de travail, qui à son tour entraîne de la fatigue chez les chauffeurs et fait augmenter les risques d’accident.

La somnolence au volant est à l’origine de milliers d’accidents de camions aux États-Unis chaque année. En 2013, dernière année pour laquelle des chiffres officiels sont disponibles, il y a eu 800 morts et 44 000 blessés dans 72 000 accidents, selon la National Highway Traffic Safety Administration.

Une autre raison qui explique la situation actuelle est la négligence réglementaire, engendrée par la déréglementation – l’objet du livre de M. Belzer.

Selon lui, la Federal Motor Carrier Safety Administration (FMCSA) des États-Unis continue à essayer de résoudre le problème en augmentant les heures de travail.

«Comme la FMCSA l’a fait en 2003-2004, lorsqu’elle n’a pas pu faire appliquer la loi, elle a changé les règles du jeu. C’est-à-dire qu’elle ne pouvait pas faire appliquer la règle des 60 heures, alors elle a légalisé une semaine de travail de 84 heures», a-t-il déclaré.

Et cette année, les Teamsters et des défenseurs de la sécurité ont intenté un procès contre la FMCSA, en faisant valoir que la dernière règle sur les heures de service, qui est entrée en vigueur à la fin du mois de septembre, entraînera en fait davantage de fatigue chez les chauffeurs.

«Ils (les organismes de réglementation) ne peuvent pas continuer à ignorer les recherches qui, à mon avis, démontrent la vérité de l’adage selon lequel le temps, c’est de l’argent. En continuant à assouplir la réglementation sur les heures de travail des chauffeurs, ils contribuent au problème de la sécurité.»

Pénurie de chauffeurs

La pénurie de chauffeurs est un sujet qui a été abordé maintes et maintes fois, mais cela n’a pas empêché des organismes tels que l’American Transportation Research Institute (ATRI) de mener davantage de recherches sur ce sujet.

L’ATRI a déclaré le mois dernier que la pénurie de main-d’œuvre reste en tête des préoccupations dans l’industrie du camionnage.

La plupart des chauffeurs ne croient pas à cet argument. M. Belzer non plus, selon qui la pénurie de chauffeurs n’existe pas.

«Du point de vue de l’économie, de manière générale, je dirais qu’il n’est pas possible d’avoir une pénurie de chauffeurs de camions», a-t-il déclaré.

«Il peut y avoir une pénurie de physiciens, il peut y avoir une pénurie d’ingénieurs, il peut y avoir une pénurie d’informaticiens ou de programmeurs, mais il n’est pas si difficile de devenir chauffeur de camion. La formation n’est pas si difficile. Il est facile d’obtenir un permis.»

Selon Joanne Ritchie, l’industrie du camionnage parle de ce problème depuis près d’un siècle maintenant.

Elle explique qu’en 1928, le magazine Western Truck Owner a publié une série de trois articles sur le sujet.

«Il était question de la façon dont nous devons mieux traiter nos chauffeurs en raison de la pénurie.»

Mme Ritchie a ajouté qu’il y a des pénuries de toutes sortes de travailleurs dans toutes les industries, et que c’est un problème de population.

«Mais en ce qui concerne plus précisément l’industrie du camionnage, le problème de la pénurie de chauffeurs, en utilisant ces mots de la manière dont la plupart des gens les utilisent, n’est pas vraiment présent et les chauffeurs ont raison de penser cela.»

Il y a cependant une pénurie de bons chauffeurs bien formés, et cela s’explique en grande partie par le fait qu’il s’agit d’un métier pouvant être passablement misérable, de poursuivre Mme Ritchie.

Selon RH Camionnage Canada, le pays fera face à une pénurie de 25 000 camionneurs à partir de 2023.

Aux États-Unis, l’American Trucking Associations (ATA) estime que le pays aura besoin de plus de 100 000 chauffeurs d’ici 2024, et de 160 000 chauffeurs d’ici 2028 si les conditions ne changent pas de manière substantielle.

Toutefois, M. Belzer insiste sur le fait que la «perception d’une pénurie de chauffeurs» est due à la faiblesse des salaires.

«Je suis certain qu’un meilleur système de rémunération ainsi qu’un effort proactif pour faire en sorte que les chauffeurs sont payés pour leur travail, lorsqu’ils ne conduisent pas, contribueront à attirer davantage de personnes dans l’industrie», conclut-il.

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  • Bonjour , apres avoir lu votre article , je suis assez d’accord , sauf que si on veut que l’industrie du camionnage change , il faut que ceux qui deviennent propriétaires soient plus vigilant sur le coût d’opération à la base ce que la plus part ne font pas et après facturé les clients en conséquence , voilà le plus gros problème de l’industrie . Nous sommes dans le transport , depuis 3 génération .