Récession ou pas en 2023-2024? Analyse et projections de l’économiste en chef de la BDC, Pierre Cléroux

Les 21 et 22 février dernier se tenait, dans la région de Vaudreuil-Soulanges, le premier colloque Transport et logistique à Vaudreuil-Soulanges. Organisé par la Chambre de commerce et d’industrie de Vaudreuil-Soulanges (CCIVS), cet événement a notamment permis de faire le point sur la situation économique en général et du camionnage en particulier.

L’économiste en chef de la Banque de développement du Canada, Pierre Cléroux. Photo: Christian Bolduc

Pour avoir l’heure juste, la CCIVS a invité l’économiste en chef de la Banque de développement du Canada (BDC), Pierre Cléroux. Sa présentation, intitulée À quoi va rassembler la croissance économique au Canada en 2023-2024 et dans l’industrie du transport par camion au Québec, a tracé un portrait générique de la situation avant de faire ses projections pour les deux prochaines années.

L’inflation, un indicateur de surchauffe

Le transport de marchandise, tout comme l’immobilier par ailleurs, est très réactif à l’état de l’économie en temps réel. Si le marché de l’immobilier se contracte dès que les taux d’intérêt montent, l’industrie du transport est intimement liée, elle, au secteur manufacturier. Donc à la fabrication et aux ventes des biens de consommation.

Les taux d’intérêt, dont l’objectif est d’offrir un contrepoids à l’inflation afin de maintenir la valeur de la monnaie (ou éviter son glissement), vont augmenter « lorsque la capacité de production (la demande) est supérieure aux gens et au matériel disponibles (offre) pour répondre à cette demande, » dit M. Cléroux.

C’est lorsque la pression exercée sur les prix dépasse + 2% qu’on doit porter une attention particulière à l’inflation. « C’est lorsque l’inflation atteint 8,1%, comme cela est arrivé au Canada en 2022, que la demande est trop élevée pour les produits et services effectivement disponibles », précise M. Cléroux.

C’est à ce moment que les taux d’intérêt (pour les emprunts) doivent être augmentés. Il faut ralentir l’économie (la demande excessive) pour juguler l’inflation.

Croissance légèrement négative pour 2023

Or, cette inflation est arrivée après deux années de croissance soutenue au Canada: 2021 et 2022. Cette situation a causé des problèmes à la chaîne d’approvisionnement. La guerre en Ukraine a aussi eu un impact sur la disponibilité et les prix des matières premières (blé, pétrole, etc.).

Pour rétablir un équilibre, la Banque du Canada a augmenté, huit fois depuis mars 2022, son taux directeur pour atteindre 4,5%. Ce qui, selon l’économiste en chef de la BDC, donne de bons résultats:

« On constate que l’inflation est en voie d’être contrôlée, la pression sur les prix commence à diminuer un peu, l’excès de la demande et les 400 milliards de dollars injectés par le gouvernement fédéral durant la pandémie ont disparu, les salaires augmentent mais moins rapidement que durant les deux dernières années, le prix des matières rares est presque revenu au niveau d’avant la guerre en Ukraine et problèmes d’approvisionnement sont presque réglés. Pas partout, mais c’est pas mal mieux aujourd’hui ».

Un ralentissement plutôt qu’une récession

« D’ici la fin de l’été, le problème inflationniste sera contrôlé », selon la BDC. Vers la fin de 2023, les taux d’intérêt vont graduellement baisser jusqu’au milieu de 2024. Le taux directeur de la Banque du Canada devrait alors se retrouver autour de 2,5%.

Fin 2023 sera aussi la période pendant laquelle l’activité économique devrait reprendre avant de poursuivre son ascension durant l’année 2024. Les taux d’intérêt seront bas, alors que le taux de chômage, à 3,9% au Québec présentement, restera assez bas.

« Nous concluons, à la BDC, que 2023 sera une année de ralentissement économique plutôt que de récession. La croissance négative devrait osciller entre 0% et -0,5%, mais plus près du 0%. Certains économistes prévoient plutôt une légère récession, mais rien de comparable avec les deux dernières vraies récessions », tempère M. Cléroux.

Le transport routier

Bonne nouvelle, donc, pour le transport routier dont la courbe suit étroitement la production manufacturière et les ventes au détail. Ce qui, selon les dires de l’économiste en chef de la BDC, est une assez bonne nouvelle. Avec quelques nuances concernant le déficit de main-d’oeuvre à long terme.

Depuis mars 2022, c’est-à-dire depuis la première augmentation du taux directeur, il s’est perdu 13 000 emplois dans notre secteur d’activité sur les 225 000 que compte le transport routier au Québec. Il y a eu, dans les deux années précédentes (2021-2022), une très forte croissance des prix et des salaires.

Une tendance qui tend à s’essouffler progressivement.

Une reprise dans notre secteur suivra l’économie générale, à savoir six mois de ralentissement avec un décollage lent à partir de l’automne.

C’est cependant le déficit de main-d’oeuvre qui pourrait plomber la reprise de 2024-2025. Un déficit que la pandémie de la COVID a encore un peu plus exacerbé.

Un déficit de main-d’oeuvre pour encore une décennie

« Les 3 000 postes vacants en ce moment au Québec peuvent s’expliquer, en partie du moins, par le vieillissement de la population », précise M. Cléroux. Les retraites anticipées durant la pandémie ont provoqué une nouvelle saignée de main-d’oeuvre dans l’industrie du transport.

Ça et une demande accrue pour des travailleurs supplémentaires dans les autres secteurs d’activité économique. Les 500 000 nouveaux emplois créés au Canada depuis deux ans confirment l’explosion de la demande… et de l’inflation.

Le pourcentage de Québécois âgés de plus de 65 ans a presque doublé en 20 ans. De 12,5% qu’il était au tournant du siècle, cette masse critique atteint maintenant 20% de la population du Québec. Quant aux 55 ans et plus, ils sont 22% à l’heure actuelle. C’est donc dire qu’ils seront nombreux, ces gens, à prendre leur retraite dans une dizaine d’années.

Ça a déjà commencé.

« Dans les douze derniers mois, 53 000 Québécois ont pris leur retraite, précise M. Cléroux. Avec un nombre de travailleurs de 25 ans et moins beaucoup moins nombreux que les 55 ans et plus, il faudra attendre entre cinq et dix ans avant de voir arriver sur le marché du travail la génération du mini baby boom née dans les années 2005-2011 ».

M. Cléroux mentionne que « l’immigration et la technologie peuvent aider, mais sans être une solution miracle ».

Le pétrole devrait continuer… de monter!

Reste l’épineuse question du prix du pétrole dans l’équation. Montera-t-il ou pas? Actuellement autour de 82 $ US le baril, le pétrole est une ressource stratégique incontournable pour le transport par camion. Chaque fluctuation à la hausse entraîne un gonflement général des coûts… et de l’inflation.

D’après la BDC, le prix du baril devrait poursuivre son ascension lorsque la reprise économique se fera sentir vers la fin de 2023.

D’ici-là, la guerre en Ukraine, qui est loin d’être terminée, et une réduction stratégique de la production par les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont l’objectif est de maintenir les prix élevés, semblent être les deux obstacles majeurs à une baisse significative des prix en cette période de ralentissement économique..

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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