Gérer les retards de livraison de camions et d’éventuelles renégociations de prix

Les fabricants de camions neufs n’arrivent pas toujours à répondre à la demande des acheteurs chez leurs concessionnaires, entre autres parce qu’ils font face à des difficultés d’approvisionnement et à des hausses de prix de matériaux.

Cela fait en sorte que les délais sont souvent plus longs que prévu entre le moment où un transporteur signe un contrat de commande de camion(s) et celui où il les obtient de son concessionnaire. Et durant cette période, le prix demandé pour ces véhicules peut avoir augmenté.

Une personne tend un contrat à une autre.
Plus un contrat est détaillé et reflète la réalité actuelle, plus on évite les litiges. (Photo : iStock)

Si votre entreprise de transport est une personne morale – incorporée par exemple – pas question d’invoquer la Loi sur la protection du consommateur puisqu’elle ne s’applique qu’aux particuliers.

Par contre, un transporteur s’estimant lésé par des délais qu’il juge indus ou un prix exigé supérieur à ce qui avait été prévu au contrat d’achat peut se tourner vers le Code civil du Québec, indique Me François Nantel, spécialiste en litige commercial au cabinet d’avocats Cain Lamarre, qui dispose d’une équipe spécialisée en transport.

Selon lui, le cas classique (les montants sont à titre indicatif seulement) est celui d’une entreprise de transport qui a signé un contrat pour obtenir 10 camions à 100 000 $ chacun mais pour lesquels, au moment de la livraison retardée, le concessionnaire demandera 250 000 $ l’unité, invoquant la force majeure – la pandémie et ses multiples conséquences par exemple – pour justifier la majoration de prix.

« Au Québec, la théorie de l’imprévision ne s’applique pas », précise Me Nantel en entrevue à Transport Routier, pour illustrer qu’un vendeur ne pas revenir en arrière sur un contrat signé.

Par contre dit-il, « Il y a toujours le droit et la réalité. » Concrètement, cela revient au vieil adage selon lequel la pire des ententes est toujours préférable au meilleur des procès.

Selon Me Nantel, un transporteur se trouvant dans une situation de délais allongés et/ou de prix supérieurs à ce qui a été signé n’a pas intérêt à confronter son cocontractant en brandissant la loi et le spectre d’une poursuite. Parce que le concessionnaire pourrait fort bien avoir pour réaction de rétorquer : « Parfait, tu n’en auras pas de camions. Poursuis-moi et on se revoit devant les tribunaux dans quatre ans. »

Vraiment pas l’idéal.

Le bec à l’eau et au bas d’une autre liste

« Tu as besoin de tes nouveaux camions pour pouvoir opérer et là tu te retrouves le bec à l’eau, et en bas de la liste d’un autre fournisseur. Donc ça va te prendre trois ans avant d’avoir ton prochain camion, alors c’est très problématique », explique Me Nantel.

Une piste de solution serait le paiement sous protêt. Il s’agit d’accepter de revoir à la hausse le prix original afin d’obtenir les camions faisant l’objet du contrat, mais en se réservant le droit de poursuivre ultérieurement pour récupérer la différence de prix.

Pour Me Jean-Sébastien Tremblay-Mimeault, aussi avocat chez Cain Lamarre, en pareille situation les concessionnaires se retrouvent souvent pris entre l’arbre et l’écorce. Mais tout comme les transporteurs doivent lire les petits caractères au moment de passer commande, les concessionnaires ont la responsabilité de bien négocier leur entente contractuelle. Par exemple en évitant le réflexe de « recycler » des clauses d’avant la pandémie dans leurs contrats.

« Pour ce qui est du futur, pour éviter des litiges ça passe par des ententes contractuelles qui prennent en compte le contexte dans lequel on vit et qui intègrent des mécanismes qui vont permettre autant au transporteur qu’au concessionnaire et au concessionnaire versus le fabricant d’être protégés de part et d’autre », indique Me Tremblay-Mimeault.

Selon lui, les concessionnaires pourraient prévoir des clauses de hausses de prix moyennant certains mécanismes et moyennant certains avis qui pourraient être jugés raisonnables. « Si tout est prévu contractuellement et qu’on y adhère dès le départ, après ça c’est au transporteur de dire s’il accepte ou pas ces conditions », ajoute Me Tremblay-Mimeault.

De son côté, le transporteur pourrait par exemple exiger que soit inscrit au contrat d’achat de camions qu’une pénalité d’un montant « X » sera appliquée pour chaque jour de retard sur le délai prévu de livraison.

Selon Me Nantel, il est difficile en mai 2022 d’invoquer la force majeure pour ne pas remplir ses obligations, alors que, dit-il, tout le monde sait depuis deux ans que nous sommes en pandémie et que la chaîne d’approvisionnement est sous tension.

« Un vendeur ayant conclu son contrat en 2022 pourra difficilement dire que les retards liés à la chaîne d’approvisionnement constituent une force majeure; il doit en tenir compte dans ses délais de livraison », estime Me Nantel.

Il ajoute que la clé, pour chacune des parties impliquées dans un contrat, c’est de démontrer que l’on est de bonne foi. Un délai de deux semaines dans la livraison d’un camion, ça n’a pas le même poids qu’un délai de deux ans.

« Les tribunaux sont très sensibles à l’approche de bonne foi de part et d’autre dans le cadre d’une instabilité comme on vit actuellement », précise Me Nantel.

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