Incohérences et bureaucratie : l’Alliance du camionnage veut moins de barrières au transport interprovincial

Le Canada est un pays très vaste et, pour passer d’une province ou d’un territoire à l’autre, les entreprises de camionnage doivent souvent faire face à de nombreux obstacles sur leur route, de nature physique ou réglementaire.

L’Alliance canadienne du camionnage (ACC) a entrepris d’identifier ces barrières afin de mieux les faire tomber. À cet effet, elle a fait appel à plus de 4 500 transporteurs et intervenants de l’industrie et l’ACC souhaite que les conclusions de son rapport fassent l’objet de discussions avec le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc.

Camion file sur l’autoroute, vu de ¾ arrière.
Les barrières au transport interprovincial nuisent à l’économie du pays en entier. (Photo : iStock)

Déneigement, stationnement et cellulaire

Un volet important de ce rapport a directement trait à la sécurité et à la productivité des camionneurs.

L’ACC plaide ainsi pour une harmonisation à travers le pays des normes d’entretien hivernal des routes. Celles-ci sont trop inconstantes d’une juridiction à l’autre, à un point tel que certains camionneurs refusent de se présenter au travail lors d’une tempête pour des raisons de sécurité.

Cela peut créer des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement puisque des livraisons arriveront forcément en retard.

Et même lorsque les camionneurs s’aventurent sur des routes pas aussi bien dégagées qu’elles devraient l’être, ils lèvent forcément le pied pour garder le contrôle de leur poids lourd.

« Pour chaque tranche de 1 km/h de réduction de la vitesse moyenne d’opération d’un camion sur des trajets de longue distance (80 km/h), on constate une réduction de 1,25 % de l’efficacité du camion et de son chauffeur si les routes ne sont pas suffisamment entretenues en hiver », peut-on lire dans le rapport.

Et si le chauffeur prend plus de temps pour franchir une distance donnée à cause de la météo mal maîtrisée, cela aura forcément des impacts sur ses heures de service. Il devra s’arrêter moins loin que prévu pour prendre du repos.

Pour cela, encore faut-il que les chauffeurs aient accès à des aires de stationnement sécuritaires, nettement insuffisantes selon l’ACC, qui rappelle qu’il devrait y en avoir une à tous les 80 à 160 kilomètres selon les normes du Réseau routier national.

Et pourtant… Il faut parcourir 289 km sur la route 117 entre Val-D’Or et Mont-Laurier pour atteindre une aire de repos. Entre Tadoussac et Sept-Îles par la route 138, c’est 426 km qui séparent deux aires de repos. La palme revient toutefois à la route 6 en direction nord au Manitoba, où il n’y a aucune aire de repos sur 760 km.

Des camionneurs sont parfois forcés de stationner en bordure de route ou d’une bretelle autoroutière pour respecter les normes sur les heures de service, une situation loin d’être sécuritaire.

Le sentiment d’isolement et d’insécurité en région éloignée est parfois exacerbé par l’absence d’une couverture cellulaire/Internet adéquate. Sans compter les pertes de productivité pour l’entreprise, générées par l’incapacité de transmettre ou de recevoir des données parfois critiques.

Réglementations incohérentes

L’Alliance met aussi le doigt sur d’autres réglementations qui sont incohérentes d’une province à l’autre et qui gagneraient à être harmonisées.

On pense aux restrictions de poids en période de dégel, dont la multiplicité complique souvent les opérations, ou encore aux fermetures de routes ponctuelles.

« Le fait de pouvoir compter sur de l’information à jour sur les conditions routières, ou un pôle central qui affiche les fermetures de routes, les inondations, les avalanches, etc. en temps réel serait un outil fort utile pour les transporteurs et les chauffeurs de camion et assurerait plus d’efficacité et de ponctualité dans la livraison des cargaisons interprovinciales », plaide l’ACC.

L’Ouest canadien aurait également avantage à harmoniser les règles – de formation notamment – qui régissent la circulation des grands trains routiers.

 « Il y a des définitions différentes de lever et de coucher du jour entre des provinces comme le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta. »

Là où c’est le jour et la nuit – littéralement – c’est dans le transport hors normes. Il y a par exemple des définitions différentes de lever et de coucher du jour entre des provinces comme le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta.

Cela complique diablement les choses lorsqu’un convoi surdimensionné ou en surcharge n’est autorisé à circuler que la nuit et que les exigences de signalisation – drapeaux, feux de position, etc. – varient selon que c’est le jour ou la nuit d’une province à l’autre.

Comme ces très grosses cargaisons sont souvent destinées à des projets d’infrastructures cruciales pour le pays, de telles incohérences nuisent à l’ensemble de l’économie, estime l’ACC.

D’autant plus que la hauteur libre sur les ponts serait apparemment trop souvent laissée à la discrétion des entrepreneurs qui les construisent et demandent des vérifications répétées aux entreprises de transport hors normes pour que les cargaisons surdimensionnées n’entrent pas en collision avec ces ponts hétéroclites.

Chauffeur inc. et cotes de sécurité

Afin d’assurer que les règles du jeu soient équitables pour tous, l’ACC suggère également la création d’un portail d’information afin que les clients expéditeurs connaissent mieux les transporteurs avec qui ils envisagent de transiger.

« Un accès rapide et assuré à ces données permettra de combattre l’utilisation du modèle d’évitement fiscal “Chauffeur inc.” par des transporteurs qui ont adapté ce stratagème non conforme à leur stratégie d’affaires », plaide l’ACC.

Vignette pour réseaux sociaux de l'ACC pour inciter à choisir des transporteurs conformes
Exemple de matériel que l’ACC propose aux transporteurs de diffuser sur leurs réseaux sociaux. « Pour assurer la sécurité et l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement, il faut une supervision de l’industrie du camionnage qui permette aux acteurs de la chaîne d’approvisionnement de prendre des décisions éclairées lorsqu’ils retiennent les services de transport de compagnies de camionnage responsables, conformes et sécuritaires », dit le texte qui accompagne l’image.

L’administration harmonisée des cotes de sécurité serait aussi un gage de concurrence plus saine. Certaines provinces ne tiennent compte que des événements de non-conformité survenus au cours de la dernière année alors que d’autres appuient leur évaluation sur plusieurs années. Les seuils d’intervention auprès des transporteurs délinquants varient aussi d’une province à l’autre.

Cela amène des transporteurs peu scrupuleux à littéralement se « magasiner » une juridiction et, lorsque leur dossier est trop lourdement entaché, à fermer boutique pour repartir en affaires sous un autre nom avec un dossier blanchi à une adresse située dans une province réputée pour sa clémence.

Doublement de la route 185 au Québec

Enfin, l’industrie du camionnage voudrait améliorer la fluidité des mouvements de transport entre le Canada Atlantique et le centre du pays. Cela passe par le doublement de la route 185 au Québec pour en faire une véritable autoroute à quatre voies avec terre-plein central.

Cette configuration permettrait la circulation sans entrave de grands trains routiers de Halifax à Toronto et contribuerait à ce que la 185 perde sa réputation de l’une des routes les plus dangereuses au pays.

La transformation de la 185 en autoroute 85, baptisée Claude-Béchard, serait retardée par des considérations d’expropriations.

« L’ACC, l’Atlantic Provinces Trucking Association (APTA) et l’Association du camionnage du Québec (ACQ) continuent de mobiliser activement leurs gouvernements respectifs sur ce sujet », assure néanmoins l’Alliance, qui vise 2026 pour la mise en service de ce lien routier vital.

Discussions avec le ministre

Par communiqué de presse, l’ACC se dit confiante que ses conclusions alimenteront les efforts mis de l’avant par le gouvernement fédéral afin d’identifier, de discuter et de trouver des solutions aux barrières commerciales domestiques qui affectent la fluidité et l’efficacité du transport des biens dans le secteur du camionnage.

« L’ACC salue l’approche du ministre [Dominic LeBlanc] pour gérer ces enjeux aux facettes multiples ainsi que sa volonté d’exercer un rôle de leadership dans la mitigation des barrières au commerce intérieur qui affectent les entreprises de toutes les tailles à travers notre pays », déclare Greg Munden, président du conseil d’administration de l’ACC.

Le rapport complet de l’ACC peut être téléchargé gratuitement en français en cliquant ici.

Les entreprises de camionnage désireuses de publiciser l’importance de ces enjeux peuvent obtenir du matériel (images et textes en français) gratuitement en cliquant ici.

Donnez votre avis

Vos données ne seront ni publiées, ni partagées.

*