La collusion comme mode de rétention de la main-d’œuvre bientôt passible de 14 ans de prison

« Tu ne viens pas recruter parmi mes chauffeurs ou mes mécaniciens, et je ne vais pas recruter parmi les tiens. »

Ce genre de pacte de non-agression entre employeurs pour préserver mutuellement sa main-d’œuvre, le Bureau de la concurrence du Canada appelle ça une entente de non-débauchage.

Gros plan du vissage d’un homme dont on ne voit pas les yeux et qui pose l’index sur sa bouche pour indiquer qu’il s’agit d’un secret.
Les accords secrets qui limitent la mobilité de la main-d’œuvre seront sévèrement sanctionnés. (Photo : iStock)

Et tout comme les accords entre employeurs pour fixer les salaires, cela deviendra une infraction criminelle à compter du 23 juin 2023 et les contrevenants s’exposeront à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans ou à une amende qui sera fixée à la discrétion du tribunal, ou une combinaison des deux.

Parce que cela constitue une atteinte à la mobilité de la main-d’œuvre, dans un contexte où cette dernière est plus recherchée que jamais, dans tous les secteurs d’activité économique.

Sursis d’un an

En fait, cette modification à la Loi sur la concurrence est officiellement entrée en vigueur le 23 juin dernier, après avoir été votée par le biais de la Loi omnibus du Budget fédéral au printemps. Mais les autorités ont décidé d’accorder un sursis d’un an aux employeurs avant de l’appliquer.

« D’ici là, le Bureau de la concurrence s’attend à ce que les entreprises examinent leurs pratiques commerciales et prennent les mesures nécessaires pour se conformer à la Loi », indique Marie-Christine Vézina, conseillère principale en communications au Bureau de la concurrence à l’occasion d’un échange avec Transport Routier.

Ce genre de pratique est-il répandu dans l’industrie du camionnage? Plus ou moins que dans d’autres secteurs? Là-dessus, le Bureau de la concurrence est muet comme une carpe.

« Comme le Bureau de la concurrence est tenu par la loi d’effectuer son travail de façon confidentielle, je ne suis pas en mesure de confirmer ou d’infirmer si nous avons mené ou menons des enquêtes à ce sujet », nous a répondu une autre porte-parole.

En vertu du principe selon lequel « là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie », il serait illusoire de penser que le monde du transport par camion est totalement exempt de ce type de pratiques anticoncurrentielles. L’adoption du stratagème « Chauffeurs Inc. » par certaines entreprises de camionnage est là pour nous le rappeler.

Le fédéral explique ses motivations

Au cabinet du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, la porte-parole Laurie B. Bouchard rappelle que « le ministre avait été clair en janvier dernier qu’il comptait bien revoir plusieurs éléments de la Loi sur la concurrence pour les adapter à la présente réalité. »

« Notre gouvernement reconnaît la place centrale des travailleurs du transport routier au Canada. Et grâce à ces modifications, ils pourront alors être aptes à négocier de meilleures conditions de travail, sans entrave dont ils pourraient ne pas avoir conscience entre de potentiels employeurs », ajoute-t-elle.

Mme Bouchard précise par ailleurs que « Ces types d’accords nuisent à la concurrence de la même manière que les complots visant à fixer les prix ou à se répartir les marchés, et seront donc aussi passibles de sanctions pénales. »

L’ACQ contre toute forme de collusion

C’est l’interprétation qu’en fait également Marc Cadieux, président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec (ACQ). « De la même façon que la collusion au niveau de la tarification est illégale, c’est le même principe. Je le vois de la même façon », dit-il au sujet des ententes de non-débauchage ou de fixation des salaires.

M. Cadieux indique que cette opinion est partagée par les autres associations provinciales de camionnage, regroupées au sein de l’Alliance canadienne du camionnage (ACC).

« Tout ce qui s’appelle collusion, on est tous extrêmement sensibles à cet aspect-là », ajoute-t-il.

Me Josyanne Pierrat, directrice, conformité et affaires juridiques à l’ACQ, s’est elle aussi penchée sur les éléments d’information disponibles à ce jour quant aux nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence.

Elle en conclut que « Le fait de convenir entre employeurs, de dire “je n’irai pas embaucher chez toi et tu ne viens pas embaucher chez moi et on fixe les salaires” pour ne pas qu’il y ait de mobilité professionnelle, ça devient une violation à la disposition. »

Me Pierrat et M. Cadieux estiment que le fait pour une entreprise de camionnage de bien traiter ses employés et d’être à l’écoute de leurs besoins demeure une approche de rétention bien plus efficace des travailleurs pour lesquels elle a tant investi en recrutement et formation.

Séances d’information publiques

L’ACQ compte participer à la séance d’information publique en français organisée par le Bureau de la concurrence le 9 septembre, afin de mieux saisir les tenants et aboutissants du nouveau cadre juridique.

Il est probable que l’ACC fera de même le 8 septembre, lors de la séance d’information en anglais.

Ces séances sont ouvertes à tout le monde, on peut s’inscrire à celle en français en cliquant ici.

Vous pouvez également consulter le guide préparé par le Bureau de la concurrence en cliquant ici.

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