Réussir l’intégration en entreprise d’un camionneur étranger

Dans notre édition de janvier/février dernier, mon collègue Steve Bouchard abordait, dans son texte, l’angle légal du recrutement international. Plus récemment, le recrutement à l’international du gouvernement du Québec, nommé les Journées du Québec à l’étranger, faisait l’objet d’un texte spécifique sur notre plateforme numérique. Aujourd’hui, pour compléter notre triptyque consacré à cette main-d’oeuvre venue d’ailleurs, nous nous intéressons plus particulièrement aux moyens à prendre par l’organisation pour assurer leur intégration et leur rétention à long terme au Québec.

C’est à Éric Morasse que ce mandat a été confié par l’Association du camionnage du Québec lors du colloque Recrutement international tenu, en présentiel cette fois-ci, le 18 mai dernier au Centre des congrès Renaissance de Montréal.

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Intégration des camionneurs étrangers à l’industrie québécoise du transport de marchandise. Photo : Istock.

Directeur, service et prévention pour le transport et la logistique chez Northbridge assurance, M. Morasse, un ancien fonctionnaire au ministère des Transports du Québec (MTQ) et à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), a un peu parlé d’assurance et beaucoup du processus d’intégration d’un camionneur étranger à l’entreprise.

Une seule catégorie de camionneur

Pour l’assureur, d’abord, il n’y a pas de critères d’admissibilité différents pour le travailleur, qu’il soit étranger ou québécois. « Qu’il vienne du Maroc ou d’ailleurs, le chauffeur sera accepté sur la base de ses compétences, ses connaissances et ses habiletés. Point à la ligne. Son origine ethno-culturelle n’importe pas, » précise M. Morasse.

A contrario, le candidat sera refusé si il a, à son dossier, plus de 6 points d’inaptitude, moins d’un an d’expérience sans détenir un DEP en transport ou s’il a été condamné pour drogue ou alcool au volant dans les dernières six années. C’est aussi dans son comportement que le candidat sera jugé.

Quelques conseils avant l’embauche

Pour l’entreprise en camionnage qui a trouvé sa perle rare à l’étranger, il y a quand même quelques règles incontournables à suivre en amont d’une embauche. Un dossier complet devra être soumis, lequel inclura une copie du permis de conduire (permis international lorsque requis), un curriculum vitae détaillé, une copie récente de son dossier de conduite et une copie de l’essai routier (voir plus loin).

Éric Morasse. Photo tirée de son profil Linkedin

Avant de procéder au recrutement d’un camionneur étranger, le transporteur doit garder en tête que les critères exigibles doivent être clairement établis et exprimés par écrit afin d’éviter toute ambiguïté du côté des postulants. Il est aussi recommandé que l’entreprise rencontre le candidat APRÈS avoir consulté son dossier de conduite et son curriculum vitae.

Si le candidat choisi ne rencontre pas tous les critères du transporteur, M. Morasse propose qu’un plan d’intégration soit mis en place pour une mise à niveau rapide et efficace de ses compétences professionnelles.

Dans cette mouvance, il est aussi essentiel que le candidat étranger soit astreint à un essai routier de 90 à 120 minutes. « Qu’il possède deux ans ou 25 années d’expérience, cela n’a pas d’importance, » disait M. Morasse.

C’est la façon la plus facile et directe pour le transporteur de vérifier si le candidat possède les qualités techniques et humaines (calme, maturité, sociabilité, débrouillardise, sens des responsabilités, etc.) pour conduire un camion de façon sécuritaire et efficace.

Autrement dit, on veut s’assurer que les bottines suivent les babines.

L’accompagnement en entreprise

Une fois le processus de recrutement dûment complété, l’encadrement à fournir au candidat à travers toutes les étapes de son intégration en entreprise doit impérativement devenir LA priorité pour les gestionnaires de l’entreprise. Deux aspects majeurs sont alors à prendre en considération pour une gestion réussie des ressources humaines : la dimension socio-affective et la formation à la conduite au Québec.

Déraciné de son milieu social, culturel, linguistique, professionnel et familial, le candidat a forcément perdu certains de ses repères. Pour l’aider à en intégrer de nouveaux de la façon la plus harmonieuse possible, il sera judicieux pour l’entreprise de lui fournir la présence d’une personne-ressource dès le premier jour.

Le meilleur moyen de rassurer le candidat est de l’accompagner en permanence sur les lieux de son travail : en lui présentant le personnel et en lui offrant, pour toute la durée de son intégration, un agenda précis des étapes d’apprentissage qui vont le mener progressivement vers une autonomie complète.

« Un accompagnateur et un agenda précis auront un effet d’apaisement sur le candidat, » dit avec justesse M. Morasse. Quelqu’un qui saura faire le pont entre la culture d’origine du routier et la culture d’accueil.

Que ce soit la gestion des quatre saisons au Québec, la location d’un appartement, l’ouverture d’un compte de banque, la façon de faire son marché (les produits disponibles, etc.) ou aller à la pharmacie, le nouveau venu a tout à apprendre. La présence d’un mentor pourra augmenter les chances d’une intégration réussie à long terme.

La formation

L’intégration en emploi est la clé d’une bonne rétention de main-d’oeuvre pour le transport de marchandise au Québec. Être capable d’encadrer adéquatement le candidat dans ses formations théorique et pratique à l’interne, lesquelles sont le socle sur lequel l’investissement pourra rapporter à moyen terme, est le mandat que l’entreprise doit être capable de relever au quotidien.

Le niveau d’encadrement, qu’il soit théorique avec l’apprentissage des lois et règlements, du code de la sécurité routière, de la signalisation routière, de la ronde de sécurité, des techniques et des heures de conduite, de la planification d’un voyage (météo, route, connaissement, etc.), du fonctionnement des freins pneumatiques et de l’attelage/dételage, ou pratique avec l’initiation à la conduite au Québec, l’observation active, le stage pratique et la conduite d’un (plus gros) véhicule lourd en Amérique du Nord (qu’en Europe ou ailleurs), sera aussi déterminant pour l’avenir du candidat chez nous.

Savoir anticiper et évaluer les contraintes de la route dans des conditions d’hiver (neige, glace, vent, froid, grésille, pluie verglaçante, blizzard, etc.), apprendre à remplir son dispositif de consignation électronique (DCE), faire sa ronde de sécurité de façon à protéger sa cargaison et assurer sa conformité sont autant de points sur lesquels un mentor peut intervenir efficacement et durablement auprès du conducteur étranger.

L’attribution, par les ressources humaines, d’un mentor affable, compétent, patient et compréhensif à la réalité nouvelle et complexe du candidat, notamment en ce qui a trait aux termes techniques et aux expressions québécoises pas toujours faciles à assimiler pour un étranger, sera sans doute l’investissement le plus rentable que le transporteur pourra faire à ce niveau.

Les quatre clés d’une intégration réussie

Pour Éric Morasse, enfin, l’intégration réussie à long terme d’un nouvel employé étranger relève de l’application concrète et soutenue des quatre clés suivantes : les aptitudes, les compétences, l’acquisition et la communication.

Par des mises en situation, notamment des essais routiers, le chauffeur acquiert et renforce ses aptitudes. Par des tests et des formations en ligne, l’entreprise peut confirmer l’état de ses compétences et agir en conséquence pour bonifier les apprentissages. La validation régulière de compétences acquises et la communication permettent enfin de ne jamais rien prendre pour acquis.

Mais la clé la plus importante, si on comprend bien l’angle proposé par M. Morasse, est de traiter, en priorité, l’humain derrière le camionneur. C’est le moyen ultime de s’assurer une loyauté de sa part. C’est aussi la philosophie à privilégier pour un transporteur qui souhaite faire progresser son organisation.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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