Chauffeur Inc. : Du dumping qui pèse jusqu’à 40%, chiffres à l’appui

Si vous avez l’impression de perdre de l’argent en raison de baisses de tarifs ou de hausses de salaires venant d’entreprises de camionnage qui vous livrent une concurrence déloyale, vous n’avez pas tort. En fait, la réalité est probablement pire que vos appréhensions, selon les données obtenues par Transport Routier.

Selon un stratagème qu’il est convenu d’appeler  « Chauffeur Inc. », des transporteurs peu scrupuleux incitent des personnes qui seraient autrement des chauffeurs salariés à s’incorporer, dans le but de ne plus avoir à payer la part de l’employeur des diverses retenues à la source. Les avantages financiers dégagés de façon illégitime servent à couper les tarifs de transport ou à recruter des chauffeurs en leur faisant miroiter des revenus plus importants, en omettant de mentionner les protections auxquelles ils renoncent, notamment en cas d’accident de travail.

À la mi-décembre, nous faisions part d’une augmentation des cotisations au régime de retraite du Québec à laquelle les employeurs de Chauffeurs Inc. avaient trouvé moyen de se soustraire.

La même logique comptable a été poussée plus loin par l’Association du camionnage du Québec afin de compiler l’ensemble des retenues à la source que paient les transporteurs qui respectent leurs engagements sociaux et qui, mine de rien, sont nombreux et s’accumulent :

  • Fonds de pension d’entreprise
  • Régime de retraite du Québec
  • Assurance groupe
  • Assurance médicaments
  • Assurance emploi
  • Congés parentaux
  • Assurance maladie
  • CNESST
  • Vacances
  • Congés fériés

Comme on peut le voir au tableau ci-dessous qui utilise les données recueillies par l’ACQ auprès d’une flotte bien réelle et légale du Québec, un chauffeur ayant obtenu une rémunération globale de 69 668 $ en 2018 a en fait coûté 93 464 $ à son employeur, un supplément de 34,16% ou 23 796 $ que ne paie pas son concurrent Chauffeur Inc.

À 39,14%, l’écart est encore plus marqué à une échelle de rémunération moindre. Toujours pour l’année 2018, le même transporteur a payé un total de 70 152 $ pour qu’un autre de ses chauffeurs obtienne une rémunération de 50 420 $ assortie d’avantages sociaux obligatoires et réglementés. Ici, c’est près de 20 000 $ que le transporteur légal consent bien involontairement à son concurrent frauduleux.

Pour Marc Cadieux, président-directeur général de l’ACQ, la situation est encore pire « dans une période où l’industrie a dû, en pénurie de main-d’œuvre, augmenter de beaucoup les salaires. »

Revenu Québec en renfort

Alors que plusieurs interventions ont été menées en Ontario auprès de transporteurs Chauffeurs Inc. par le WSIB, l’équivalent de notre CNESST, c’est plutôt du côté de l’Agence du revenu du Québec que doivent venir d’éventuelles représailles chez nous.

Me Nathalie Léveillé, coordonnatrice à la conformité et aux affaires juridiques à l’ACQ, explique qu’en raison de distinctions entre le Code civil du Québec et le Common Law des provinces de tradition anglo-saxonne, les structures de pouvoir de la WSIB et de la CNESST diffèrent. C’est ce qui explique que Revenu Québec soit l’outil d’intervention privilégié par l’ACQ.

À la mi-décembre, le PDG de l’ACQ a rencontré le cabinet ministre des Finances du Québec, Eric Girard, dont relève Revenu Québec et lui a présenté les mêmes chiffres qui apparaissent à notre tableau.

« On en a fait la démonstration avec les écarts et la réalité d’une entreprise qui n’a pas à payer ces déductions. Ça roule près des 40% dans certains cas », déclare M. Cadieux, ajoutant : « Une entreprise qui engage des chauffeurs à 40% moins que son concurrent [les bénéfices marginaux], il peut certainement arriver avec des tarifs complètement hors du commun pour une entreprise qui, elle, doit encaisser ces coûts d’opération. »

Affirmant avoir ses entrées chez Revenu Québec, M. Cadieux indique que le personnel politique rencontré à Québec a pris acte des doléances de l’industrie du camionnage. « On a toute l’écoute nécessaire pour que l’action prenne place », dit-il.

L’équipe du ministre des Transports François Bonnardel, qui nous avait déclaré il y a près d’un an être préoccupé par la situation, a également été sensibilisée de nouveau.

Même si d’autres secteurs d’activité économique sont gangrenés par le phénomène des faux travailleurs incorporés – l’informatique notamment – M. Cadieux ne compte pas se joindre à un éventuel front commun afin d’accroître la pression sur Québec pour que les inspecteurs de Revenu Québec amorcent des contrôles.

Une séance de travail est prévue entre l’ACQ et le vice-président de Revenu Québec à la mi-janvier, ajoute M. Cadieux. Il y sera question des façons permettant d’épingler les transporteurs irréguliers.

Chauffeurs et expéditeurs à risque

Le PDG de l’ACQ déplore par ailleurs que plusieurs chauffeurs qui participent à ce stratagème ne voient que l’appât du gain, et pas la réalité qu’ils pourraient devoir confronter, s’ils se blessaient au travail sans couverture de la CNESST par exemple.

C’est d’ailleurs dans cette optique que l’ACQ s’emploie à sensibiliser les expéditeurs aux imbroglios juridiques auxquels ils s’exposent en utilisant des Chauffeurs Inc. sans couverture en cas d’accident sur leur site. Des fiches conseils que les transporteurs peuvent télécharger ici et distribuer à leurs clients ont été préparées en français et en anglais.

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