Combattre la pénurie de camionneurs en faisant la promotion de leur professionnalisme

On connait tous les conséquences liées à la pénurie de camionneurs au Canada, et ça depuis plusieurs années. Retards dans l’acheminement des marchandises, pression à la hausse sur les prix, chaîne d’approvisionnement qui se prend du sable dans l’engrenage, plombage de la vigueur économique, etc. Tout le monde a fait son diagnostic de la situation, et tous ont leur solution pour combler les 23 000 postes vacants aujourd’hui au Canada (55 000 en 2024).

À ce jour, les appels à la mobilisation pour combler les nombreux départs à la retraite, les défections et les vacances de postes chez les camionneurs sont restés sans réponse satisfaisante.

Pourquoi ?

Depuis que je suis revenu dans l’industrie du transport par camion (et bien avant), en janvier dernier, plusieurs organismes québécois et canadiens ont publié des rapports et des manifestes, alors que d’autres ont organisé des conférences et des colloques dont la thématique incluait, de près ou de loin, cette question névralgique qui semble insoluble.

Ce siège n’attend qu’un chauffeur pour prendre la route. Seras-tu cette personne ?

Ayant couvert toutes ces initiatives sectorielles depuis quatre mois, je constate que les efforts déployés par les leaders de notre industrie sont notables. Le constat est unanime.

L’Association du camionnage du Québec, par exemple, a récemment mis l’accent sur le recrutement international et les moyens pour en faciliter l’attractivité auprès des immigrants.

Du côté de CAMO-ROUTE, les femmes ont été spécifiquement ciblées lors d’un colloque organisé en mode virtuel le 8 mars dernier. Le gouvernement du Québec, loin d’être en reste, a fait récemment l’inventaire des besoins en main-d’oeuvre technique (camionneurs et mécaniciens) pour l’industrie du camionnage.

Jusqu’à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain qui a consacré, le 1er avril dernier, une demi-journée à l’intermodalité du transport et de la logistique à Montréal.

Des événements qui ont effleuré ou abordé cette thématique de front. Avec des résultats qui, nous devons l’avouer, restent insuffisants et parcellaires.

Que faire alors ?

Placer le chauffeur au centre de toutes les actions

Peut-être est-il temps pour notre industrie de recentrer la stratégie directement sur le métier de camionneur, ses qualités et caractéristiques propres afin de mieux les vendre auprès du grand public. Penser et agir davantage en dehors de l’industrie pour trouver les candidats qui, autrefois, se recrutaient plus facilement et plus massivement de père en fils.

Promouvoir ce métier lui-même dans ce qu’il a de plus organique, passionnant, naturel et intrinsèquement jouissif : le plaisir de gagner honorablement sa vie en conduisant un gros et puissant camion.

Mieux faire connaitre et valoriser ses compétences, son expertise, son profil professionnel et son mode de vie au monde entier. Répandre la bonne nouvelle au bon peuple que le camionneur roule – très souvent – dans des camions récents ou neufs, confortables, sécuritaires et équipés à la fine pointe de la technologie, notamment en ce qui a trait aux technologies de communication et de sécurité, me semble une bonne piste à suivre.

En appuyant très fort sur la passion et la fierté de conduire un « big rig », sur la noblesse du métier et sa façon tout aussi professionnelle de le pratiquer aujourd’hui, le routier pourrait se multiplier à l’infini et régler, une fois pour toute, le déficit important qui accable l’industrie et toute l’économie canadienne.

Parce qu’il ne faut pas se leurrer : les recrues potentielles ne cogneront pas aux portes de l’industrie pour la sauver ou régler les problèmes de la chaîne d’approvisionnement. Leurs motivations sont essentiellement personnelles, voire égoïstes : s’épanouir professionnellement, gagner honorablement leur vie et valoriser leurs propres aptitudes et habiletés professionnelles.

Actualiser son image

Pour attirer un nombre croissant de recrues vers le camionnage, la promotion du métier devrait donc se faire aussi autour de la posture professionnelle du camionneur moderne :

Affiche publicitaire de l’Association du camionnage du Québec pour recruter des camionneurs.

Accorder une importance spécifique à la formation professionnelle des routiers, laquelle deviendra par ailleurs obligatoire à la fin de l’année 2023, la conduite écoresponsable et préventive, la ronde de sécurité, la gestion électronique des tracteurs et des cargaisons ainsi que les responsabilités corporatives accrues qui leur sont confiées. Des compétences qui décuplent leur utilité et qui doivent être mieux appréciées socialement.

Et se poser les questions suivantes :

Est-ce que ce noble métier est aujourd’hui suffisamment valorisé à l’extérieur de l’industrie du camionnage ? Est-ce que le prestige nouveau du camionneur a débordé nos frontières sectorielles ? Est-ce que le vieux préjugé du « trucker » déglingué, impénitent et indomptable a été effacé de la mémoire collective ? Est-ce que la promotion faite du camionneur moderne est suffisante et efficace ? Est-ce que la perception actuelle du camionneur professionnel est celle qui permettra de séduire les amoureux du transport ?

La solution au problème de recrutement de routiers se trouve peut-être ici, finalement. Une industrie qui s’est largement professionnalisée depuis 10-15 ans mais dont la réputation traîne encore la patte dans la population générale. Une industrie dont la main-d’oeuvre ne peut plus aujourd’hui être majoritairement renouvelée de père en fils.

Alors il faut autre chose.

Peut-être qu’une campagne publicitaire de grande envergure, en sélectionnant des routiers parmi les plus crédibles et influents de la nouvelle génération de camionneurs (jeunes et moins jeunes), pourrait envoyer le message clair au public que les pratiques en camionnage se sont bonifiées et qu’une carrière dans ce domaine peut être une option sérieuse à considérer.

Et pour remplir à nouveau plusieurs classes dans les écoles de formation de la région de Montréal, Emploi Québec devra reconsidérer sa décision prise antérieurement de ne pas aider financièrement les élèves inscrits. Car outre les jeunes qui vivent chez leurs parents et qui peuvent travailler à temps partiel, trop peu de gens intéressés par le camionnage – ici je pense aux adultes qui veulent changer de carrière mais qui ont des enfants et/ou des engagements importants – ont les moyens financiers d’étudier durant 6 mois sans revenus.

——————————

Un merci particulier à Charles Morier du CFTR pour avoir répondu à mes interrogations, confirmé certaines de mes intuitions et renforcé ma perception des problèmes de recrutement en camionnage. Ancien routier professionnel, M. Morier enseigne la conduite de véhicules lourds depuis 2006. Il se dit très préoccupé par l’image négative et erronée qu’on accole aux camionneurs, et s’inquiète de la baisse d’inscriptions dans les centres de formation du CFTR de la grande région métropolitaine de Montréal.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

Donnez votre avis

Vos données ne seront ni publiées, ni partagées.

*

  • Bonjour, vous avez parfaitement raison de bien promouvoir le métier, il y a un manque flagrant de bonne publicité entourant ce beau métier, ce qu’on vois généralement ces toujours du négatif trop camion, manifestation à Ottawa qui a été généralisée par les camionneur malheureusement par un petit nombre.

    Mais surtout ce que tout l’industrie ne parle pas c’est le salaire qui est vraiment pas à la hauteur de tout la responsabilité encadrant le métier.

  • Les compagnies de transport me boudent parce que j’ai de petits restrictions suite à une blessure au travail, malgré plus de 5 ans comme livreur en semi-remorque 53′.

    Je sais que je ne peux pas être candidat pour les 7.000 poste à combler. Mais je suis assurément et complètement capable d’arrimer une remorque, de faire des déplacement inter-usines, inter-terminaux ou des switchs Montréal-Kingston ou dans un même rayon.

    C’est dommage, parce que j’ai encore la passion de la route.