Quoi faire en 2022 avec la pénurie de chauffeurs et une chaîne d’approvisionnement fragilisée?

Il n’y a pas à dire, 2022 a commencé sur les chapeaux de roues, et pas nécessairement pour les bonnes raisons. Après l’insidieuse apparition du variant Omnicron dans nos vies, l’industrie du transport craint maintenant que les manifestations contre la vaccination obligatoire pour accéder à la frontière Canada\USA fragilise, encore un peu plus, les problèmes économiques liés à la chaîne d’approvisionnement ainsi qu’au recrutement et à la rétention de main-d’oeuvre.

Alors que plusieurs analystes et gens d’affaires prévoient une autre année difficile en approvisionnement de produits et de pièces, des voix se lèvent pour réclamer un raccourcissement de la chaîne logistique en rapatriant, autant que faire se peut, tout ce qui peut être efficacement manufacturé au Québec et au Canada.

Raccourcir la chaîne d’approvisionnement

C’est le cas de l’ingénieur, consultant au sein de Far Star Consulting et chef du conseil d’administration de l’organisme Chaîne d’approvisionnement Canada, le Montréalais d’adoption Stephen Cherlet : « Les délais de livraison sont devenus trop dispendieux et très longs, » nous disait M. Cherlet lors d’un entretien en visioconférence.

Même son de cloche du côté de Louis J. Duhamel. Pour ce consultant en affaires, passionné de l’économie du Québec et chroniqueur média, on assiste à une démondialisation et une politisation du commerce international. « Les intérêts politiques des nations passent maintenant en premier. Leurs stratégies commerciales en dépendent. »

Car malgré une reprise économique mondiale plus robuste qu’anticipée, l’offre n’arrive toujours pas à satisfaire adéquatement la demande. De là l’importance de raccourcir, le plus possible, notre chaîne logistique par la réduction des délais d’approvisionnement.

Raccourcir la chaîne d’approvisionnement, c’est réduire au minimum possible les distances et les délais entre le manufacturier et le consommateur.

Les ruptures de stocks, pénuries de composants, la pénurie de main-d’oeuvre en Asie et tous les très longs délais d’acheminement depuis presque deux ans font la démonstration qu’en temps de crise, la gestion d’une chaîne d’approvisionnement mondialisée ne peut plus reposer sur les seuls coûts et la livraison « Just in Time. »

Elle n’est plus aussi fiable qu’avant.

Déraillement mondial

Efficace depuis 40 ans, ce mode de gestion très serré des approvisionnements a complètement déraillé sous la pression de la pandémie, des confinements successifs et de ses conséquences inéluctables : réduction drastique de la production, une main-d’oeuvre raréfiée aussi bien en Asie, en Europe, au Moyen-Orient, au États-Unis qu’au Canada et difficultés à trouver les ressources pour fabriquer les produits.

Si on ajoute à ce casse-tête l’augmentation des prix en transport, l’idée de raccourcir la chaîne logistique pourrait être bénéfique pour toute l’économie du Québec et du Canada. En d’autres mots, on pense ici à des emplois manufacturiers plus nombreux et du transport régional accru. Mais ce n’est pas tout :

« Le raffinage du pétrole, précise M. Sherlet, ne se fait à peu près plus au Québec et au Canada depuis longtemps, par exemple. Il part pour les États-Unis avant de revenir raffiné et transformé. En rapatriant une part importante de ce secteur d’activité névralgique, on stimulerait par exemple plusieurs secteurs de notre économie, l’emploi et les profits au niveau national, régional et local. »

En rapatriant ainsi une part notable de la production au Québec et au Canada, notamment les intrants, l’industrie manufacturière pourrait répondre plus promptement et plus efficacement à la demande dont les habitudes de consommation, en deux ans, ont été radicalement bousculées par les dérèglements de la pandémie.

Une idée à creuser, donc…

Élargir la base industrielle… par un financement mieux ciblé

La revitalisation de notre secteur manufacturier, qui peut se réaliser par un rétrécissement stratégique de la chaîne d’approvisionnement, est une idée qui semble d’ailleurs trotter dans la tête de plusieurs entrepreneurs depuis ce bousculement mondial, dit M. Duhamel. « Les entreprises savent qu’elles devront faire des gains ailleurs dans leur chaîne de valeur, notamment sur le plan de la productivité. Il en va ainsi de leur rentabilité et de leur survie. »

Parmi les solutions envisageables, M. Cherlet évoque son expertise et ses expériences professionnelles :

Une chaîne d’approvisionnement plus mince (lean), dit M. Cherlet, qui permet d’éliminer, dans la fabrication et la distribution, tout ce qui n’a pas de valeur ajoutée réelle, profitable et quantifiable. Autrement dit, toutes les pertes pures et inutiles – en temps et en ressources – doivent être identifiées et éliminées. Mais ce n’est pas tout. Il faudrait impérativement, pour élargir la base industrielle et manufacturière du Québec et du Canada, que l’aide financière accordée par les gouvernements soit simplifiée et orientée prioritairement vers les PME. »

 

Cette stratégie de stimulation de l’offre, si elle voyait le jour, aurait l’avantage, vous vous en doutez bien, permettrait de satisfaire plus facilement la demande et possiblement doper les exportations. Et qui en profiterait directement, croyez-vous ? Oui, le transport, car entre 80% et 90% des livraisons de marchandises se font dans un rayon de moins de 300km. Il y a cependant un dernier obstacle à neutraliser avant de pouvoir mettre ses solutions en application : la pénurie de main-d’oeuvre.

La pénurie de main-d’oeuvre

Cette problématique, loin d’être nouvelle en transport, affecte conséquemment la rentabilité et la croissance générale de l’économie au quotidien. Que ce soit dans le secteur manufacturier, la distribution et toute la chaîne logistique du transport, les trous laissés par le manque de chauffeurs ralentissent la croissance.

Comment faire, alors, pour palier à cette pénurie ?

Au Canada, entre 20 000 et 25 000 emplois de camionneurs seront à pourvoir d’ici 2023. Aux États-Unis, à titre comparatif, ce nombre, présentement à 80 000, atteindra 160 000 en 2030. Avec les retraites et les chauffeurs qui quittent l’industrie, des solutions novatrices sont requises prestement afin d’attirer les jeunes vers ce métier névralgique.

En attirant les jeunes

Pour Al Barner de Fleet Advantage, le recrutement et la rétention des chauffeurs passent d’abord par l’achat de camions sécuritaires, modernes et récents. La sécurité et le confort sont deux aspects sur lesquels les jeunes recrues potentielles sont très sensibles aujourd’hui. Ça et conduire des camions plus écoresponsables.

Car pour les jeunes générations, ces priorités sont tout en haut de leur échelle de valeurs. « En mettant de l’avant des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), les entreprises peuvent se rapprocher des jeunes générations, » précise M. Barner. Pour ce faire, elles doivent également intégrer les jeunes dans les prises de décisions les concernant. La valorisation de leurs besoins et de leur expertise, dans une perspective managériale, offrirait des justificatifs sérieux à la rétention de leurs talents. Pour le gestionnaire, cette rétention de talent veut aussi dire une amélioration du rendement et une réduction significatives des coûts en formation. »

Un écart culturel qui pourrait, si les organisations peuvent s’ajuster efficacement, offrir une voie intéressante à explorer.

Les femmes et les immigrants aussi

Attirer les femmes est un autre défi de taille qui doit être relevé avec originalité. Le camionnage étant, traditionnellement, réservé aux hommes virils, c’est toute sa culture qui doit être modernisée afin de lui faire une place.

Parce que…

Les femmes, qui composent actuellement 4% des effectifs en camionnage, espèrent que les entreprises puissent s’adapter aussi à leurs besoins. Un peu à la manière du Groupe TYT de Drummondville, qui a fièrement intégré trois camionneuses à son personnel, l’industrie du camionnage doit amorcer ce virage afin de combler les nombreux postes vacants.

Pour attirer davantage de femmes, d’immigrants et de jeunes, l’industrie du transport devra s’adapter à leurs besoins.

C’est ce que souhaite Camo-Route, le Comité sectoriel de main-d’oeuvre du transport routier au Québec. Son objectif est d’atteindre 10% de camionneuses dans trois ans. Pour y arriver, les pratiques en milieu de travail devront être accueillantes et sécuritaires pour elles.

La même approche est requise pour les immigrants. Une solution que valorise Stephen Cherlet afin de regarnir la banque de candidats « L’immigration, couplée à des formations adaptées en entreprise, demeure une solution viable pour recruter et intégrer rapidement les nouveaux arrivants au travail productif, . »

Les organisations doivent aussi être conscientes, en amont, des difficultés d’adaptation auxquelles les immigrants sont confrontées en arrivant au Québec. En reconnaissant les chocs culturels qui peuvent ralentir leur adaptation professionnelle, d’abord.

Être capable, ensuite, de s’adapter organisationnellement en engageant, par exemple, des spécialistes en anthropologie culturelle qui sauront décoder, traduire en mots et aplanir les difficultés d’intégration que vivront les immigrants dans leur nouvel environnement.

Agir, enfin, afin de leur permettre d’apprendre, grandir et devenir un actif valorisé autant par l’organisation que par leurs collègues.

 

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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  • Je suis enseignant au DEP transport par camion, depuis 15ans. La norme 16 viendra sûrement en décourager quelques un à devenir camionneur ou camionneuse. J’aimerais bien lire un reportage sur l’effet de la norme 16 sur l’industrie. Quelle est l’opinion des entreprises de transport et les écoles privées? Quelle sera le montant facturé pour la formation? La Saaq parle de 140h de formation obligatoire au Québec. Ailleurs au Canada ça varie entre 130 et 160h. Certaines provinces plafonnent le prix de la formation à 10000$.

    • Salut Charles,je suis chauffeur SPL en France,je fais comment pour rejoindre Canada pour travailler dans le transport.

      • Bonjour,

        Vous devez d’abord contacter la délégation du Québec à Paris ou le consulat canadien le plus proche de chez vous. Ils vous indiqueront la marche à suivre. Bonne chance.