Mécanique de véhicules lourds : se préparer pour la vague électrique

Est-ce qu’on peut affirmer, en 2022, que la domination du moteur diesel en transport lourd est menacée par son concurrent électrique ? La réponse, simple, est non. Du moins, pas à moyen terme. À long terme, par contre, la réponse risque d’être fort différente, notamment parce que les manufacturiers sont de plus en plus nombreux à proposer des modèles 100% électriques. Une bonne raison pour les garages de préparer le terrain aujourd’hui afin d’être prêts pour affronter un très probable tsunami demain.

Ce raz-de-marée, anticipé pour 2025-2030, commence déjà à faire sentir sa présence en Amérique du Nord. La construction, par le manufacturier québécois de camions et d’autobus 100% électriques Lion Électrique, d’une usine de fabrication de batteries qui entrera en production dès 2023, est un bon exemple. L’achat, par le Groupe Morneau, d’un premier camion électrique, en est un autre.

Crédit photo : istock

On peut ajouter à cela l’entrée en scène, prévu pour 2025-2030, de la batterie Solid State (à semi-conducteurs) qui doublera son autonomie actuelle et la rapidité de recharge des camions, les incitatifs financiers du CARB en Californie pour l’achat de camions électriques et le dynamisme, ici même au Québec, d’une filière de la batterie au lithium-ion pour le transport.

Ça commence à ressembler à une tendance lourde pour le camionnage lourd urbain et régional.

Des défricheurs

Afin de répondre à cette demande évolutive, les mécaniciens de véhicules lourds devront se mettre éventuellement au diapason de ces nouvelles exigences. C’est par la voie de la formation en entreprise, via le manufacturier ou par l’entremise d’un centre de formation en mécanique, que l’intégration de connaissances spécifiques à l’électrification des transports pourra et devra se faire.

Aujourd’hui, celles et ceux qui poussent pour ce type de formation complémentaire sont notamment au CFTR de Saint-Jérôme, au sein du manufacturier québécois de camions et d’autobus Lion Électrique et du manufacturier suédois Volvo Trucks.

Parce que la demande pour ce genre de produit est encore embryonnaire en Amérique du Nord, le manufacturier doit offrir, en amont de la livraison, une formation d’appoint pour les mécaniciens du concessionnaire visé. C’est ce qui est arrivé à Paré Centre du camion Volvo de Québec.

Une formation chez le concessionnaire

Marie-Claude Paré, vice-présidente et directrice générale de Paré Centre du camion, le concessionnaire qui a vendu un premier Volvo VNR Electric au Groupe Morneau, a fait former par Volvo trois techniciens et un contremaître durant deux jours afin d’être prêt pour la réception du camion. « Au total, nous avons cinq personnes qui ont été formées et accréditées pour l’aspect électrique du camion, » précise Mme Paré.

Sans consacrer une aire de service dédiée aux véhicules électriques, Paré Centre du camion, qui a été certifié « véhicules électriques »(VE) par Volvo Trucks North America en janvier dernier, a notamment prévu un chargeur, un support à batteries et des outils spécifiques pour travailler sur un camion électrique.

Cette certification permet au concessionnaire de procéder aux entretiens et aux réparations sur place, dans son atelier mécanique. « Avec la formation, on a appris beaucoup de choses, précise Mme Paré, ajoutant que tout ce processus sera un apprentissage pour nous autant que pour Volvo. On va avancer au fil du temps. Avec la liste d’entretiens qu’on a à faire, notamment les intervalles kilométriques prescrits, on s’assure d’avancer tout le monde ensemble et de la bonne façon. »

En centre de formation

Avec l’arrivée des premiers camions et autobus électriques sur le marché, le métier de mécanicien de véhicules lourds, devenu soudainement un peu plus complexe, doit forcément s’adapter. Ce changement de paradigme, qui est au Québec inspiré par Lion Électrique, ajoute de la pression aux exigences de formation.

Une pression qui, dès l’an prochain, montera d’une coche supplémentaire avec « la production annuelle de batteries au lithium-ion pour l’équivalent de 14 000 véhicules, nous dit le vice-président du marketing et des communications pour Lion Électrique, Patrick Gervais, ajoutant que le système d’éducation de type CFTR s’adapte bien à cette nouvelle réalité. »

C’est effectivement le cas du Centre de formation en transport routier (CFTR) de St-Jérôme. Ayant intégré, depuis 5 ans, une formation de 42h en électrification des transports à son programme de formation en Mécanique de véhicules lourds qui fait, au total, 1800h, le CFTR a confié à Alain Chouinard le soin d’enseigner cette compétence 34 à des jeunes qui ne jurent que par le diesel.

Le diesel, mais pas l’électricité

« Au début de la formation en électrification des transports, mentionne le volubile M. Chouinard, j’ai rarement un élève qui est fasciné ou naturellement attiré par cette dimension de la mécanique. À la fin des 42h, je refais mon sondage pour constater qu’une poignée d’entre eux – peut-être 4 ou 5 – pourraient être intéressés par le défi que représente le travail sur des camions électriques. »

Pour des jeunes qui aiment les pistons, l’odeur du diesel brûlé et du bruit d’un moteur, l’univers du camion électrique peut sembler rébarbatif. « Pourtant, nous dit M. Gervais, 80% de l’entretien d’un camion électrique peut être fait par un mécanicien de moteurs diesel. »

On est quand même loin d’une révolution ici. Une bonification des connaissances et des pratiques, sans plus.

Photo : Istock

Ce 20% restant se compose donc, pour l’essentiel, d’une formation préalable de 90h en électricité qui aidera l’apprenti mécanicien à intégrer, durant sa formation en mécanique au CFTR, les principes d’induction, la transformation du courant, le désamorçage de la haute tension d’une batterie à 600 volts, la gestion de batterie nommée BMS (Battery Management System, qui est un ordinateur intégré dans la batterie avec des relais positifs et négatifs) et l’acquisition des « normes de sécurité qui, une fois maîtrisées, rendent le système électrique , dit M. Chouinard, aussi sécuritaire à manipuler que son pendant au diesel. »

Et en entreprise

« Pour les mécaniciens et mécaniciennes qui travaillent déjà en entreprise, il y aura, nous dit M. Chouinard, le service aux entreprises (SAE) qui est un cours en développement et dont le lancement devrait, en principe, se faire à l’automne prochain. »

Préparé par M. Chouinard, ce cours de 42h en formule volante – c’est-à-dire que le formateur se déplace en entreprise – sera dispensé à la suite d’une approche faite par le Comité sectoriel de main-d’oeuvre de l’industrie du transport routier, ou Camo-Route pour les intimes. C’est que la demande pour les véhicules lourds électriques neufs – autobus et camions – suit une courbe constante, progressive et exponentielle, grâce notamment à Lion Électrique dont les bons de commande et les ventes d’ici 2024 atteignent, à ce jour, quelque 2000 unités (1 700 autobus et 300 camions).

Avec des centres de services à Terrebonne et Saint-Jérôme, Lion Électrique a aussi des besoins en main-d’oeuvre à combler. Des mécanos, bien sûr, mais également des techniciens en électromécanique et des ingénieurs qui peuvent se déplacer, au besoin, chez leurs clients. Ces derniers, regroupés sous l’appellation de Bright Squade, sont ceux qui sont notamment habilités à ouvrir les batteries.

Rédacteur professionnel depuis plus de 15 ans, Christian possède une expérience considérable à titre de journaliste spécialisé en transport, notamment à titre de directeur de la rédaction de L'Écho du transport, magazine aujourd'hui disparu, et de Transport durable magazine.

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